Will Wright n’a jamais cessé de vouloir résumer la vie dans ses jeux vidéo. Après Sim City et les Sims, son obsession explose dans Spore.

On a trop vite résumé le profil de Will Wright à celui du créa-teur des Sims. Premier acteur de l’industrie des jeux vidéo à avoir été nommé Compagnon au BAFTA (1), ce game designer américain approchant la cinquantaine affiche un tableau de chasse rare, marqué de concepts révolutionnaires qu’il réussit à imposer dans une industrie très orthodoxe. Séminal, Sim City introduisait ainsi à la fin des années 80 l’idée d’un mécanisme de jeu où l’on ne détruit ni ne tue plus, mais où l’on construit. Le titre effaçait aussi la notion de ga-gnant ou de perdant. Mieux, cette simulation transformait une poignée de théories pointues et indi-gestes liées au développement urbain (Jay Wright Forrester) en un blockbuster fun, encore brandi de nos jours comme référence dans les amphithéâtres universitaires. Même schéma pour ses tentaculaires Sims créés à partir des théories comportementales d’Abraham Maslow et architecturales de Christopher Alexander. Pas mal pour un self-made-man multimillionnaire qui après avoir vainement essayé plusieurs études n’a finalement décroché qu’un brevet de pilote d’avion de tourisme.

Artisan involontaire de la vague Casual Gaming qui a entre autres amené une génération entière de femmes à s’essayer aux jeux vidéo et auteur d’autres titres moins connus mais tout aussi géniaux ( Raid on Bungeling Bay, Sim Ant, Sim Life…), le fertile esprit de Will Wright ne s’est pas arrêté en si bon chemin. Avec sa plastique cartoon irrésistible, Spore se donne des airs de gadget kawaii mais cache une complexité vertigineuse englobant une vaste palette de gameplays (stratégie, gestion, action…) et résumant la vie sur un simple DVD. Des bactéries à la conquête de la galaxie. Le tout couronné d’un nouveau concept de personnalisation extrême de l’expérience vidéoludique. Rencontre avec le nouveau maître de l’univers…

Focus: dans Spore se côtoient une approche darwiniste à travers les mécanismes de jeu gérant l’évolution des espèces, et le concept religieux et créationniste sous-tendu par la présence d’un joueur qui, tel un dieu, dirige par exemple l’esthétique des créatures selon ses goûts. Ce paradoxe est-il voulu?

Will Wrigth: je dirais que cette ambiguïté est nécessitée par la mécanique de jeu.

Spore emprunte des concepts de Web 2.0 liés à YouTube et MySpace pour le partage de créations et singe Facebook pour sa dimension communautaire. Le jeu vidéo 2.0 semble arriver à son paroxysme. Quelle sera la prochaine évolution?

Les jeux vidéo deviennent de plus en plus personnels. Un ordinateur peut désormais observer les comportements psychologiques des joueurs et changer en direct les mécaniques et règles de jeu. Les jeux vidéo reflèteront donc à terme la personnalité du joueur, affichant ses rêves, ses désirs. Pour l’ins-tant, dans Spore, ce n’est qu’esthétique. Mais cette direction d’un gameplay s’adaptant aux envies du joueur est la plus intéressante voie que le médium vidéoludique puisse emprunter.

Cette nouvelle race de jeux vidéo s’éloigne donc de toute direction artistique…

Chaque production vidéoludique compte en fait deux auteurs principaux: le designer et le joueur. Ou, dans le cas de Spore, « les » jou-eurs puisqu’il y a déjà une communauté de milliers de créateurs.

Pensez-vous que Spore est aussi révolutionnaire que votre Sim City sorti il y a vingt ans?

Spore innove sur divers plans. Paral-lèlement à chacune des cinq étapes de jeu, nous avons voulu retracer l’évolution de l’histoire du gameplay des jeux vidéo. Car la structure est la même. On part de principes simples qui se déploient ensuite vers des systèmes toujours plus complexes. Dans Spore, les joueurs peuvent par ailleurs créer, partager et vivre du contenu thématique. Pris séparément, ces éléments ne sont pas révolutionnaires d’un point de vue du game design… Et même si je n’aime pas trop m’attarder sur ce genre de question, le générateur d’animation utilisé pour l’éditeur de créatures est vraiment révolutionnaire. Cet outil puissant et très simple d’emploi permet d’obtenir un résultat créatif réaliste. On a dû investir des terrains que même la recherche micro-informatique académique n’a pas encore touchés.

Est-ce la raison qui a poussé Electronic Arts et Maxis à sortir d’interminables mises à jour pour les Sims 1 et 2, qui s’apparentaient plus à de l’exploitation commerciale qu’à des idées fraîches en matière de gameplay?

Ce n’était pas nécessairement pour supporter le coup de dévelop-pement de Spore. Il y a un gros groupe de joueurs de Sims, et nous faisons des packs d’extension car ils en redemandent.

Spore va-t-il vous ranger à nouveau du côté des développeurs de jeu vidéo « normaux » et plus comme un type qui ne fait que des « maisons de poupée » à la Sims?

Je fais des jeux auxquels j’ai envie de jouer, pas pour l’image. Je ne veux donc surtout pas penser à la manière dont Spore pourrait changer la perception qu’ont les joueurs de moi.

Sim City analysait la société d’un point de vue macro. Les Sims d’un point de vue micro. Spore se place en mode super macro et semble boucler une trilogie. Des rumeurs selon lesquelles vous n’avez plus de nouveaux projets vidéoludiques courent, enflées par vos intérêts pour un projet de documentaire sur la conquête spatiale soviétique…

C’est vrai, j’aimerais bien tourner ce reportage un jour mais je ne compte pas arrêter les jeux vidéo! Je travaille actuellement sur un projet plus épique que Spore… mais je n’en dirai pas plus.

(1) British Academy of Film and Television Arts

Spore est édité par Electronic Arts et développé par Maxis, disponible sur PC et Mac. Prévu sur Nintendo Wii et DS (Spore Creatures).

Entretien Michi-Hiro Tamaï

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content