L’ANIMATION FRANÇAISE SE PORTE BIEN, ET RÉSISTE À L’UNIFORMISATION. LA PREUVE PAR DEUX FILMS SIGNÉS DU VÉTÉRAN MICHEL OCELOT ET DU DÉBUTANT J-C DESSAINT. ÉPURÉ COMME DANS KIRIKOU ET LES HOMMES ET LES FEMMES OU IMPRESSIONNISTE COMME DANS LE JOUR DES CORNEILLES, LE TRAIT Y EST ÉLOQUENT MAIS GARDE UNE DIMENSION HUMAINE.

Jean-Christophe Dessaint est issu de la très réputée Ecole de Gobelins. Il a dirigé l’animation de Tous à l’Ouest, une aventure de Lucky Luke et celle du Chat du rabbin avant de réaliser son premier long métrage, LeJour des Corneilles ( lire critique page 31), un projet qui a mis plus de 5 ans à voir le jour… pour ensuite être mené à bien au sprint,  » avec une contrainte de temps qui nous a forcés à nous montrer encore plus créatifs« . Le longiligne et chevelu Dessaint a voulu que son film, adapté d’un roman de Jean-François Beauchemin, se présente  » comme une expérience avant même de raconter une histoire, comme une invitation au spectateur de venir habiter un univers cohérent où pourraient exister des personnages fantastiques, dans une forêt mystérieuse et impressionniste« .  » L’animation rendant l’impossible possible, et mettant tout à plat, sur le même niveau, les humains et les animaux, les humains à tête d’animaux, le réel et l’imaginaire: tout y coexiste harmonieusement », explique un cinéaste qui assume le côté animiste du Jour des Corneilles, et ses références un peu asiatiques, non point dans la forme mais dans un propos et une atmosphère  » où le traitement du thème de la mort se fait par exemple assez proche de la philosophie bouddhiste« . La compagne coréenne de Jean-Christophe Dessaint lui a fait remarquer cette parenté au départ involontaire mais qui enrichit singulièrement son film. Habitué à peindre la nature, pour son plaisir, en extérieur, le cinéaste a vu dans ce premier long métrage  » l’opportunité de s’exprimer à titre plus personnel, de donner à la lumière un rôle de protagoniste dans l’histoire, d’y apporter une émotion apaisante même dans les scènes les plus tendues dramatiquement ». Les décors tiennent une place importante dans les aventures du jeune héros du film, fils d’un ogre bourru et d’une mère décédée qu’il revoit désormais transfigurée avec une tête de biche…  » Avec le directeur artistique, nous avons choisi de peindre ces décors après les avoir dessinés au fusain, en adoptant donc un trait naturel, loin de l’imagerie de la bande dessinée, et plus proche d’un univers de peintre« , précise Dessaint, avouant que l’apport des effets générés ensuite par l’ordinateur (par exemple pour donner vie à l’eau d’une rivière) donnait des résultats quelque peu déroutants! Sans briser heureusement l’accord de la forme et du fond qui donne au Jour des Corneilles un charme irrésistible, auquel s’ajoute le plaisir de regarder, à l’heure de la 3D, un film presqu’entièrement « fait à la main ».

Michel Ocelot n’avait pas forcément l’intention de revenir à Kirikou. Et pourtant ce troisième épisode des aventures du gamin africain s’impose au rang des meilleures réussites du réalisateur ( lire critique page 31)!  » Le producteur et distributeur me poussaient dans le dos, voyant un filon à exploiter, le public aussi me demandait de continuer, ce qui est très flatteur mais j’ai eu du mal à m’y habituer… « , commente un Ocelot qui a  » résisté pendant 7 ans avant de dire oui, notamment sur l’insistance d’Africains qui me disaient que je n’avais pas le droit d’arrêter avec Kirikou. »  » Ce que j’aime, au fond, c’est faire plaisir, et faire du bien, clame le cinéaste. D’abord donner un plaisir immédiat, à la vision du film, et ensuite, plus tard, faire du bien en ayant rendu les gens plus décontractés, plus ouverts, plus jouisseurs, jouant au lieu de grincer des dents. » Kirikou et les hommes et les femmes fait, tranquillement, l’éloge de la communication, chose essentielle dans l’esprit de son créateur.  » On communique, on enseigne et on apprend, on empile les connaissances depuis 5000 ans, 5000 ans de civilisation que nous avons assimilés. » Fils d’enseignants, Michel Ocelot tient la transmission pour la clé de l’humanité. Il entend la rendre toujours présente dans ses films. Dans le prochain, aussi,  » qui se déroulera dans le Paris de 1900 et mettra en scène trois femmes formidables: Sarah Bernhardt, Marie Curie et Louise Michel« . Une actrice, une scientifique et une révolutionnaire,  » trois visages de l’importance des femmes, trois visages d’une civilisation aujourd’hui en péril devant la montée d’idéologies faisant de la femme une inférieure par la volonté supposée de dieu, et voulant en finir avec l’esprit des Lumières, avec la liberté… » Révolté par l’obscurantisme (il rappelle volontiers que les films de Kirikou sont interdits pour nudité dans tout le monde musulman, mais aussi insortables dans un circuit commercial américain pour la même raison!), le cinéaste y oppose non seulement ses idées mais aussi la forme de son cinéma exemplairement curieux de l’Autre, et travaillant la couleur comme source de lumière.  » Je vais toujours plus vers la simplicité, vers l’épure, qui est en art l’honnêteté absolue, explique-t-il , et je dis à mes animateurs: « Ne tortillez pas du cul! Faites juste ce qu’il faut. »  » Et s’il a usé de l’ordinateur dans Kirikou et les hommes et les femmes, c’est seulement  » en appui d’un travail créatif restant essentiellement artisanal, du dessin aux à-plats de couleur. »

RENCONTRES LOUIS DANVERS

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