Désastre imminent

© FROZEN FILMS FRAME© PAUL SHARITS
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

« ET SI L’ART DISPARAISSAIT? », S’INQUIÈTE LE CENTRE POMPIDOU-METZ. UNE QUESTION CRUCIALE ABORDÉE À TRAVERS UNE EXPOSITION QUI SÉDUIT DAVANTAGE L’ESPRIT QUE L’oeIL.

Le Musée imaginé

CENTRE POMPIDOU-METZ, 1 PARVIS DES DROITS DE L’HOMME, À METZ. JUSQU’AU 27/03.

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Le pitch est haletant, de ceux qui font accourir les visiteurs. A la suite de la Tate Modern et du MMK de Francfort, le Centre Pompidou-Metz programme Le Musée imaginé, une exposition en forme de « contexte fictif » autour des collections de ces trois institutions majeures. Elle donne à voir plus de 80 « oeuvres-clés » ficelées en un scénario du pire qui semble désormais probable dans un monde dont les contours dépassent ceux qu’imaginent les auteurs de science-fiction. S’il fallait convoquer l’un de ces prophètes de malheur, ce serait sans hésiter Ray Bradbury dont le Fahrenheit 451 livre la trame de l’accrochage. Soit, une société dans laquelle la culture est bannie et où il ne reste plus que la bonne volonté de quelques âmes en peine, celles-là même qui ont opéré une sélection de pièces singulières, pour se dresser contre le néant. Dès la première salle, le visiteur est happé par une mise en scène sombre qui prévient: « Passée cette porte, vous serez en 2052. C’est arrivé demain. » Les premiers pas dans la capsule temporelle, que les artisans du projet se sont empressés de sceller, font mesurer tous les enjeux de la question. Ils sont condensés dans un tirage photographique de 1942 qui donne le ton. Signé Paul Almasy, il figure le Louvre dont les oeuvres ont disparu, à la façon d’une maison abandonnée, comme une « âme dépouillée de ses souvenirs« . L’image est historique, elle est celle de l’institution juste avant l’arrivée des occupants allemands. Il n’en faut pas plus pour visualiser ce qu’impliquerait ce scénario désastreux: un monde inhabitable dans lequel nous serions condamnés à devenir des sans-abris du symbole, des grands brûlés de la réalité.

Auto-institution

Articulé en sept sections, le parcours déroule inexorablement son angoissante anticipation. A chaque étape, on mesure un peu plus ce qu’il y a à perdre: la sublimation du banal qui nous accompagne avec Martin Parr, la distance critique selon Thomas Bayrle, la connaissance intime d’après Louise Bourgeois… L’exposé possède ses temps forts. Ainsi de Der Lauf der Dinge, film expérimental de 1987 que l’on doit à Peter Fischli et David Weiss. Celui-ci montre une variation sur la chute de dominos au propos cosmogonique. Pendant les 30 minutes du court-métrage, l’oeil est en proie à un suspense intenable: l’enchaînement des causes et des effets parviendra-t-il à son terme? Du feu, des roues, du hasard, de la nécessité et des déchets, impossible de ne pas voir là le destin de l’humanité. D’autres oeuvres enthousiasment: Daniel Spoerri et l’un de ses « détrompe l’oeil » qui greffe une robinetterie sur un paysage romantique aquatique, les Frozen Films Frame de Paul Sharits, ou encore un troublant dispositif de Dan Graham qui introduit une infinie régression de continuums temporels au sein d’un présent perceptif immédiat. Le tout pour une expérience plus facile à vivre qu’à expliquer. Justement, cette question de l’explication nécessaire est peut-être ce qui empêche d’adhérer pleinement à ce Musée. En quête de sens, le visiteur passe trop de temps le nez sur les cartels. Un fait qui découle du parti-pris « post-rétinien », cher à Duchamp, des commissaires. On aurait aimé que celui-ci soit contrebalancé par plus d’oeuvres immédiates, moins conscientes d’elles-mêmes et moins froides. Ce sillon éminemment conceptuel ne pourrait résumer à lui seul l’expérience que l’on désigne sous le nom d' »art ». C’est pourtant ce qu’il prétend en se voulant témoignage à l’usage des générations à venir.

MICHEL VERLINDEN

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