Des sabres et du génie

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

UN COFFRET MAGNIFIQUE RESSUSCITE DEUX « WUXIA » SUBLIMES DE L’IMMENSE KING HU. FULGURANT!

Dragon Inn

DE KING HU. AVEC LINGFENG SHANGGUAN, CHUN SHIH, YING BAI. 1 H 51. ED: CARLOTTA. DIST: TWIN PICS.

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A Touch of Zen

DE KING HU. AVEC FENG, CHUN SHIH. 3 H. ED: CARLOTTA. DIST: TWIN PICS.

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L’événement cinéphile de l’automne prend la forme d’un beau coffret rouge sang, contenant deux disques au format Blu-ray et un DVD. Aux versions intégrales et restaurées de Dragon Inn (1967) et A Touch of Zen (1971) s’ajoute un documentaire sur leur auteur, le formidable King Hu. Né à Pékin, ce dernier mena carrière à Hong Kong et Taïwan, portant le genre du « wuxia », ou film de sabre, à incandescence dans une suite de réalisations stupéfiantes par leurs qualités techniques et surtout esthétiques, dignes des plus grands cinéastes. Hu Chin Chian s’était fait connaître en tant que comédien avant de devenir assistant puis enfin metteur en scène pour la Shaw Brothers, société de production de Hong Kong créée par quatre frères prénommés Runje, Runme, Rude et Run Run… Le dernier cité menant la danse au studio et applaudissant le travail de son nouveau réalisateur désormais actif sous le nom de King Hu. Mais le plus grand succès de leur association, Dragon Inn, allait aussi marquer leur séparation. La lenteur du cinéaste, certes causée par un soin créatif aigu, faisait enrager le bouillant Run Run Shaw, qui donna un ultimatum à Hu pour qu’il finisse le tournage de la dernière séquence du film en dix jours. Déjà excédé par les interventions du producteur sur le montage de ses films précédents, le King envoya balader les Dalton du cinéma hongkongais, direction Taïwan.

Le très intéressant documentaire d’Hubert Niogret narre dans les détails ce second exil, appuyant les visions du déjà très spectaculaire Dragon Inn et du chef-d’oeuvre qu’est A Touch of Zen. A Taïwan, Hu poursuit son exploration de sujets situés sous la dynastie Ming, avec des intrigues de trahisons, d’espionnage et de persécutions des dissidents évoquant un parallèle avec la situation politique en Chine continentale. Mais il peut y développer plus que précédemment ses ambitions artistiques de réalisateur plaçant l’art au-dessus du divertissement. Là où on emploie d’ordinaire 10 000 mètres de pellicule pour un film, il en utilisera 20 000! Et il prendra son temps, pour obtenir l’oeuvre qu’il avait en tête et qu’en peintre et calligraphe de formation, il avait pré-dessiné dans un story-board détaillé. King Hu tourne les scènes de combats comme des danses, touchant à l’abstraction et ne montrant que très peu de sang. Il crée un style narratif très particulier, avec une caractérisation rapide des personnages (à la Sergio Leone) et une caméra extraordinairement mobile, dont les évolutions fascinantes seront encore magnifiées par un montage très fluide. On remarque l’influence de l’Opéra de Pékin, qui assurait une formation en arts martiaux et d’où viennent les visages peints, et surtout la figure des combattants qui volent dans les airs, marque de fabrique du cinéaste. Le génial A Touch of Zen marque le sommet de son art, qui en connaîtra encore un autre huit ans plus tard avec Raining in the Mountain… à rééditer aussi!

LOUIS DANVERS

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