Irrésistiblement drôle, mais aussi très lucide, le film de Nabil Ben Yadir est une comédie sociale brillante et pertinente, révélant un Bruxelles allochtone jamais si bien raconté auparavant.

Aziz, Hassan, Mounir. Ce sont les barons. La rue, à Molenbeek, leur appartient. Qu’ils y circulent dans la BMW qu’ils ont achetée en « collectif » avec quelques autres copains, ou qu’ils s’affalent sur la devanture de l’épicerie locale tenue par un des derniers habitants autochtones du quartier (superbe Jan Decleir). Ils glandent beaucoup et bougent peu, car dans leur vision de la vie, le nombre de pas autorisés à chacun avant de mourir est compté. Leur histoire, centrée sur le personnage d’Hassan qui aspire à devenir comédien et humoriste, Nabil Ben Yadir nous la raconte avec humour et pertinence dans un film en tout point formidable (voir notre critique du film en page 29), qu’il faut courir voir et savourer à sa juste valeur.

Le jeune auteur (avec Laurent Brandenbourger) et réalisateur des Barons est un pur autodidacte. Avant celui du cinéma, c’est le désir d’écriture qui lui est venu.  » J’ai débuté à l’école, en rédigeant des faux mots des parents pour mes potes (je les vendais 50 francs)« , se souvient celui qui reconnaît avoir déjà développé son « goût de raconter » à cette coupable occasion.  » Un baron, ça raconte!, poursuit-il, Ce n’est pas la blague qui compte mais la manière dont tu la racontes, en rallongeant, en détaillant, pour faire passer le temps, en fait…  » La toute première idée sur le chemin de son film fut de  » placer une caméra à l’intérieur de la BMW, cette bagnole qui fait peur à tout le monde parce que les gens se disent que c’est sûrement des voleurs ou des trafiquants de drogue. » Le futur cinéaste a lui-même été copropriétaire d’une BM, au sein d’un « consortium » de copains dont certains ne savaient même pas conduire…  » Ce qui n’avait aucune importance car la BM n’est pas un véhicule, c’est un signe! »

L’anecdote de la voiture partagée fournit une scène mémorable aux Barons, film librement mais intensément inspiré par la réalité. Mais que son auteur a préféré tourner principalement à Forest (rue Rodenbach) plutôt que dans son propre quartier d’origine.  » J’avais besoin de recul pour mieux raconter l’histoire, explique Ben Yadir. C’aurait été très compliqué de tourner le décor principal à Molenbeek. Il y aurait eu tous ces gens disant « C’est nous, les barons!  » et je ne voulais pas faire un film à l’arrache, avec des potes dans leur propre rôle, la mère dans le rôle de la mère, etc. Je voulais faire un vrai film de cinéma, en scope, tourner certes à Bruxelles mais avec des comédiens venus de partout. Avant même de discuter avec la production, c’était ça ou rien. Faire autrement n’aurait eu aucun sens. » Ainsi naquit, avec la complicité des producteurs Diana Elbaum et Sébastien Delloye, un film  » tournant le dos au misérabilisme, marqué par un humour qui est en fait la seule force des barons, les vrais. »

Comédie réaliste

 » Quand les gens entendent le mot comédie, ils pensent films à la Francis Veber, et Les Barons n’a rien à voir avec ça, s’empresse de préciser le cinéaste. Dans mon film, la comédie vient dans les dialogues, et dans les situations. Des dialogues et des situations typiques du quartier, de Bruxelles, de Molenbeek, de Schaerbeek, etc. Je n’ai pas voulu imposer un rythme de comédie avec les gags qui tombent à tel moment précis. J’ai voulu que le comique vienne de la réalité que je connais pour l’avoir vécue, au feeling, de manière naturelle. » Et puis, même si la drôlerie domine,  » on ne peut pas appeler pure comédie un film où un mec se fait défoncer la gueule dans le métro« , commente Nabil Ben Yadir.  » La réalité de quartier, c’est aussi la violence, je ne pouvais pas l’ignorer. Et quand il s’est agi de montrer cette violence, après avoir montré des moments très drôles et très touchants, je me suis interrogé. Jusqu’où fallait-il aller dans la violence? Parce que celui qui frappe, c’est Mounir, et Mounir représente le quartier. Il sait que son pote Hassan va quitter le quartier, tout comme sa s£ur l’a fait précédemment. Il fait un complexe à ce sujet. Lui qui a le plus ri pendant tout le film, alors qu’Hassan qui veut faire son métier d’être drôle, ne rit pas comme lui. Mounir est bien dans son quartier, il est le King là-bas. Mais quand il sort du quartier, il est l’étranger, celui qu’on regarde bizarrement. Tout costaud et dominateur qu’il est, il se sent perdu. Et voir qu’Hassan a en lui les ressources pour partir le met en rage. Il fallait montrer sa violence jusqu’à la rendre douloureuse pour le spectateur. Parce que c’est important: c’est la violence du quartier qui dit à celui qui veut le quitter qu’il n’en a pas le droit. C’est aussi l’honneur qui fait que Mounir ne peut, comme Aziz, mettre un tablier pour tenir un magasin. Mounir prend la blague qu’est au départ cette histoire d’être des barons totalement au sérieux. Il y en a comme lui. Je les reconnais d’autant mieux que moi-même, j’ai été Mounir avant de devenir Hassan… Hassan, il veut exporter les barons en les racontant sur scène. Pour Mounir et ceux qui prennent tout ça au sérieux, c’est un truc de « vendu ». Jamel (Debbouze, ndlr) aussi était un vendu quand il est monté sur scène pour raconter l’histoire de son père. Mais avec son énorme succès, ce n’est plus un vendu, maintenant, c’est un représentant de la communauté…  »

 » J’aimerais bien qu’il y ait plus de barons Hassan et moins de barons Mounir, mais c’est malheureusement l’inverse dans la réalité… « , déclare le cinéaste qui fixe au spectateur un rendez-vous marqué par le plaisir. Par-delà les clichés, Nabil Ben Yadir nous fait découvrir un Bruxelles aux allures de petit Maroc, où son regard se promène avec tendresse mais se fait aussi critique quand il aborde la religion, les rapports entre les sexes.  » C’était taper sur tout le monde ou ne taper sur personne!« , rit le réalisateur des Barons, dont le sens aigu du spectacle n’a heureusement pas bridé la lucidité.

Rencontre Louis Danvers

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