S’attachant au destin de Bobby Sands, figure historique de l’IRA, mort des suites d’une grève de la faim en 1981, Steve McQueen signe un film choc, en prise sur notre époque.

Présenté en ouverture de la section Un Certain Regard, Hunger, du cinéaste britannique Steve McQueen, allait défrayer la chronique cannoise, marquant les esprits autant qu’il divisait les spectateurs. Quelques jours plus tard, le cinéaste s’en repartirait avec la Caméra d’or, couronnant le meilleur premier film sélectionné au Festival. Une distinction venue récompenser une £uvre résolument jusqu’au-boutiste, et fidèle en ce sens à un artiste ayant banni la tiédeur de son vocabulaire. Ainsi lors d’un entretien, enflammé, réalisé sur une terrasse surplombant la Croisette, quelques jours après la projection officielle du film. « Des gens ont quitté la salle? Pas de problème. On ne peut pas faire l’unanimité lorsqu’on réalise un travail de qualité. Ceux qui essayent de plaire à tout le monde se plantent systématiquement. Mais à ceux qui trouvent ce film trop violent, je suggère qu’ils regardent ce qui se passe dans le monde. »

Artiste plasticien, formé à Londres et New York, exposé à la Tate Gallery comme au Centre Pompidou, Steve McQueen s’est employé, depuis une dizaine d’années, à questionner le langage cinématographique. Au moment de s’atteler à un long métrage de cinéma, c’est tout naturellement qu’il a pensé à l’histoire de Bobby Sands. Figure emblématique de l’IRA (Armée républicaine irlandaise), ce dernier devait mourir en 1981 au terme de 66 jours d’une grève de la faim entreprise aux fins d’obtenir, pour ses camarades et lui, le statut de prisonniers politiques. « Lorsque j’étais gamin, au début des années 80, trois événements m’ont marqué: la victoire de mon équipe de foot, Tottenham, en coupe d’Angleterre, les émeutes de Brixton, et le visage de Bobby Sands. Tous les soirs, on le voyait aux informations, avec un nombre qui s’affichait. Cette image ne m’a jamais quitté, et à l’heure de chercher un sujet de film, j’ai repensé à cet homme qui avait entamé une grève de la faim, et était allé jusqu’à en crever afin de changer les choses. »

Pour Steve McQueen, il ne fait aucun doute, en effet, que l’histoire de Sands et ses camarades de l’IRA ait, aujourd’hui, une résonance toute particulière. « Quand j’ai commencé à plancher sur ce film, il y a cinq ans, on ne parlait pas de guerre en Irak, ni de Guantanamo, ni de Abou Graib. Le lien n’était pas encore évident. Mais entre-temps, le parallèle entre les deux époques n’a cessé de se développer, on peut établir des comparaisons. Les gens ont la mémoire courte: les journaux ont à peine consacré quelques lignes aux 25 ans de la mort de Bobby Sands, c’est le signe qu’on veut tirer un trait. Mais il est important, à l’heure où l’on proteste contre Guantanamo Bay ou Abou Graib, de se souvenir que ce genre d’événements s’est également produit dans notre jardin, en Grande-Bretagne, et non dans un pays lointain. »

Connors – McEnroe

Film puissant jusqu’à l’inconfort, Hunger s’installe, pour ainsi dire, au c£ur de la tourmente. « Il était essentiel, à mes yeux, de présenter les deux points de vue, celui des gardiens comme celui des détenus, et de les faire cohabiter. Chaque partie a sa façon d’envisager les choses, mais le paradoxe veut qu’elles soient, au bout du compte, fort proches. En effectuant les recherches pour le film, j’ai été confronté à une sorte de protectionnisme des uns et des autres: c’est leur histoire, ils la partagent. Mon propos n’était pas de présenter Bobby Sands comme un martyr ni comme un héros, mais de le présenter comme un être humain, responsable de ses actes. »

Pivot de cette volonté, une longue scène avec le prêtre Dominic Moran, où sont posés les enjeux moraux à l’£uvre. « Cette rencontre ne s’est pas produite dans les faits, mais je tenais à l’intégrer au film. Cette scène est un peu pour moi l’équivalent d’une finale de tennis acharnée entre Jimmy Connors et John McEnroe. Cette confrontation directe était indispensable, sans que l’on sache à son terme de quel côté se ranger. C’est là, pour moi, le moment essentiel du film, une partie d’échecs philosophique, à même de nourrir la réflexion du spectateur. »

Quant à cette façon de donner des concours esthétisants à la violence la plus crue? « Si l’on s’intéresse à l’histoire de l’art, on voit que certains artistes ont toujours essayé de concilier l’intérêt et la répulsion des spectateurs pour certaines représentations de la violence. Il suffit de penser aux toiles de Goya ou Velasquez. J’espère que, même ébranlé, le spectateur continuera à regarder, et qu’il se posera des questions. A chaque idée, son médium: avec Hunger , j’espère toucher un public plus large. Voilà pourquoi le médium cinéma s’imposait. »

Entretien Jean-François Pluijgers, à Cannes

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content