Dans les cordes

Un prédateur du paysage cathodique émerge d’un coma pour découvrir que rien n’est plus comme avant. Un fascinant thriller aux accents fantastiques.

K.O.

De Fabrice Gobert. Avec Laurent Lafitte, Chiara Mastroianni, Pio Marmai. 1 h 55. Sortie: 21/06.

7

Premier film de Fabrice Gobert, Simon Werner a disparu… pratiquait avec bonheur le mélange des genres, évoluant au confluent du teen-movie à l’américaine tendance Van Sant et du polar, une coloration irréelle en sus. Sept ans et deux saisons des Revenants plus tard, K.O., le second long métrage du réalisateur français, présente peu ou prou les mêmes attributs, hybride tirant le thriller vers le fantastique, tout en fissurant le vernis de la normalité. Au coeur du film, on trouve Antoine Leconte (Laurent Laffite), cadre supérieur dans une chaîne de télévision, wonder-boy du paysage cathodique côté face, prédateur côté pile. Et un homme de pouvoir, en tout état de cause, ne souffrant guère de contestation, aux plans professionnel comme privé d’ailleurs. Pas plus, du reste, qu’il ne s’embarrasse de victimes collatérales, indifférent à Solange (Chiara Mastroianni), qui a écrit un manuscrit vengeur sur leur relation, ou à ses collègues régulièrement malmenés, qui voient en lui « une pourriture ». Jusqu’au jour où sa vie bascule sur un choc, le plongeant dans un coma dont il finit par émerger pour découvrir que rien n’est plus comme avant… Littéralement K.O. debout.

Une personnalité se dérobe

Rêve ou réalité? Mythomane ou victime? Gobert rend la frontière poreuse, donnant à son film un caractère profondément étrange et troublant, par-delà son ancrage dans un environnement social qui n’est que trop familier. Le réalisateur explique à cet égard avoir voulu aborder les thèmes « de la violence au travail, des rapports de pouvoir, du mépris, de l’incapacité qu’ont certains à se mettre à la place de l’autre ». Mais si K.O. porte en effet un regard acéré sur le monde de l’entreprise (guère éloigné, en cela, du récent Corporate), c’est aussi un thriller fascinant, ne cessant de vouloir se dérober à la suite de la personnalité d’Antoine Leconte.

Modèle d’ambiguïté, la composition de Laurent Lafitte, dominant une galerie de seconds rôles où l’on retrouve encore Clotilde Hesme, Pio Marmai ou Zita Hanrot, ne manque pas d’impressionner, imposant le comédien dans un registre qu’on ne lui soupçonnait guère jusqu’au Elle de Paul Verhoeven. Elle donne le la d’un polar dont la mécanique finaude (jusqu’à désarçonner parfois le spectateur) s’appuie sur des choix de mise en scène aiguisés, qu’habille idéalement la musique de Jean-Benoît Dunckel, de Air. Si le film a, par endroits, des petits airs de déjà-vu -on pense notamment au Fight Club de David Fincher-, la réussite est incontestable, malgré un twist final générant sa part de frustration. Suspense fantastique aussi captivant que bluffant, K.O. vient aussi souligner la singularité de l’univers de Fabrice Gobert. On s’y abandonne volontiers, tout en guettant la suite de son parcours avec une curiosité non dissimulée…

Jean-François Pluijgers

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