LIVRE AUX DIMENSIONS EXTRAVAGANTES, « THE FOXY LADY PROJECT » PRÉSENTE UNE SOIXANTAINE DE PHOTOS DE GUITARES EN TAILLE RÉELLE! DE QUOI ALIMENTER LE FÉTICHISME AUTOUR DE L’INSTRUMENT ROI DU ROCK. ALORS, VRAIMENT RINGARDE, LA GUITARE?

L’ouvrage est imposant. Exposé au milieu de l’un des espaces d’une grande librairie-restaurant du sud-est de Bruxelles, The Foxy Lady Project est impossible à louper. Le curieux peut tourner la lourde couverture et feuilleter à sa guise: page après page, des guitares, rien que des guitares…

Les livres centrés sur les six cordes ne manquent pas. L’automne dernier encore, l’amateur a eu droit par exemple aux 2000 guitares: l’ultime collection de Tony Bacon et à Star Guitars: 101 guitares qui ont fait le rock de Dave Hunter. Avec The Foxy Lady Project, l’instrument phare du rock reçoit cependant un traitement exceptionnel. Constitué de 61 photos de modèles différents, le bouquin propose des portraits en taille réelle! Quitte à exploser les mensurations: avec ses 109 cm de haut sur 47 cm de large, The Foxy Lady Project serait le plus grand livre au monde!

On a pu croire à un moment que la guitare allait, avec le rock, céder le pas. Tout le monde derrière son ordinateur et ses synthés! Fini les longues heures de pratique nécessaires avant de pouvoir enchaîner trois accords: un bon logiciel, et composer devient un jeu d’enfant. Certains semblent cependant en revenir. Rencontré récemment, le jeune Michael Kiwanuka, révélation de ce début d’année, expliquait pourquoi il n’avait pas cédé comme ses camarades à la programmation et aux beats électroniques. « Jusqu’à mes 17, 18 ans, je n’avais pas d’ordinateur décent, on n’avait pas les moyens d’en avoir un à la maison. On avait un PC, mais il était très lent. Je me revois mettre des heures pour charger une page ou crasher le PC en essayant de télécharger un jeu. Donc je me rabattais sur ma guitare. » L’instrument a ainsi préservé tout son prestige et son côté attractif, comme le montre le projet Foxy Lady. En fait, même les nouvelles technologies ont récupéré le pouvoir de séduction de l’instrument, comme le montre le succès d’un jeu comme Guitar Hero. Dans les hit-parades, les tubes électro et dance sont toujours en majorité, mais tout en continuant à devoir faire de la place aux Foo Fighters, Black Keys et autres adeptes de riffs saignants.

Symptomatique: Studio Brussel, la radio « jeune » de la VRT, a décidé de faire de 2012 son « année de la guitare ». Tous les dimanches, entre 17 et 19 h, le programme Het jaar van de guitaar fait dans la disto et le solo qui dépote. Pour l’occasion, la station a d’ailleurs organisé un sondage auprès de ses auditeurs pour identifier le solo de guitare ultime. Dans le top 10, quelques attendus ( Stairway To Heaven de Led Zeppelin, Sultans of Swing de Dire Straits), des bonnes surprises ( Paranoid Android de Radiohead), et puis une évidence: Jimi Hendrix à la première place, avec le solo d’ All Along The Watchtower, morceau dans le morceau original de Bob Dylan.

Du 27 au 30 avril prochains, s’ouvrira également le premier Festival international de la guitare à Bruxelles. Changement d’univers: on quitte celui des amplis Marshall et des perfecto pour celui des virtuoses de la guitare classique. La passion pour les six cordes reste cependant la même. Basé à l’Espace Senghor à Etterbeek, l’événement proposera évidemment des concerts: la légende argentine Jorge Cardoso, Valérie Duchâteau, un duo entre Elisa Kawaguti (violon, lauréate du Reine Elisabeth) et Yves Storms… Mais ce n’est pas tout: le Big (Brussels International Guitar) festival a également programmé des conférences, des master classes ainsi que des salons de lutherie.

On est loin de tout ça dans The Foxy Lady Project.  » Je ne voulais pas d’un ouvrage qui s’adresse aux spécialistes« , explique Maxime Ruiz, le photographe à l’origine du projet.  » J’avais envie d’un objet magnifique, avec une esthétique féminine, d’où la couverture de soie rouge. Un objet de luxe mais qui puisse rester abordable. » Avec un prix tournant autour des 450 euros, l’achat reste évidemment coûteux. Mais l’objet est réellement exceptionnel, avec ses dimensions extravagantes. Tiré à 2500 exemplaires, il se vend d’ailleurs bien. Il donne en tout cas une bonne idée de la passion que suscite toujours l’instrument.

Le projet est né il y a cinq ans d’ici.  » Je venais de participer à un livre avec Francis Cabrel sur la lutherie. C’est à ce moment-là que j’ai eu l’idée de réaliser le cliché d’une guitare à l’échelle 1/1, quasi en trompe-l’£il. » Sexagénaire toujours vert, Maxime Ruiz fréquente depuis longtemps le milieu de la musique, à travers la réalisation de photos de groupe ou des pochettes pour Cabrel, Maurane, Nougaro, BJ Scott… Il avait donc des contacts utiles pour se lancer. Le milieu de l’édition fut cependant un peu frileux.  » J’avançais petit à petit, j’avais eu par exemple accès à la collection de James Trussart. Mais j’avais toujours du mal à convaincre les éditeurs traditionnels. Puis un jour, j’en ai parlé à la veuve de Claude Nougaro qui m’a dit: fonce, ça va marcher. Elle a investi dans le projet et on a pu lancer notre propre structure.  »

Un imprimeur est finalement trouvé en Chine – » il a même dû construire une machine spécialement pour la reliure« . L’enthousiasme a fait le reste.  » Quand j’étais ado, j’étais fasciné par les guitares sur scène. Je suis un peu reparti de ces souvenirs. Pourquoi la guitare a-t-elle par exemple autant de formes différentes? Cela m’a toujours intrigué. J’ai compris que les musiciens l’enfilaient comme ils portent une robe. Quand Kurt Cobain sort des oubliettes la Fender Jaguar, c’est un habit de scène qu’il remet complètement à la mode. »

Guitar hero

Le principe de The Foxy Lady Project est simplissime: une photo grandeur nature d’une guitare, accompagnée d’un court texte sur la page voisine, rédigé en français et en anglais par le journaliste Christian Séguret. Un code QR renvoie également à des vidéos de l’instrument en « action ».  » L’idée n’était pas de présenter des guitares de vedettes du rock, comme Clapton ou Brian May. Les stars, ce sont les guitares elles-mêmes. » Maxime Ruiz les a photographiées donc sous tous les angles, et toutes les lumières, superposant différents clichés pour obtenir le meilleur rendu, au niveau du bois, de la nacre, du métal…

Fétichisme quand tu nous tiens… Il est bien de son époque: la rétromania actuelle passe aussi par l’accumulation des reliques et la sacralisation d’objets souvent complètement banals. Pourtant, on continue encore et toujours de casser des guitares sur scène. C’est un peu le paradoxe de la guitare, peut-être le seul instrument que ses plus ardents défenseurs se sont aussi souvent échinés à détruire dans une sorte de grand rite païen, des Who à Nirvana en passant par Jimi Hendrix qui y mettait le feu.  » Le concert de Monterey, c’est génial. Quand il passe à la télé, je ne le loupe jamais. Cela dépasse le rock, c’est presque de la musique contemporaine. Mais vous avez raison, à la base, la guitare est un instrument nomade. Il a traversé et accompagné les principales musiques populaires du XXe siècle: le blues, le rock, le folk, le jazz… C’est l’instrument des exclus, des immigrés qui l’emportent partout avec eux. En même temps, je me suis parfois retrouvé avec près de 500 000 euros de matériel dans le coffre de ma voiture! Il y a donc en effet une forme de fétichisme autour de l’instrument. Cela étant dit, à part la guitare de Django exposée à la Cité de la Musique et devant laquelle j’ai vu des gens pleurer, aucun des modèles n’était laissé de côté, derrière une vitre. Les propriétaires continuaient tous à en jouer. En fait, je n’ai rencontré que des passionnés. »

Même un ours aussi mal léché que Lou Reed a pu un jour dire:  » La partie la plus importante de ma religion consiste à jouer de la guitare. » Amen…

THE FOXY LADY PROJECT EST NOTAMMENT DISPONIBLE DANS LES LIBRAIRIES BRUXELLOISES CANDIDE, COOK & BOOK, PEINTURE FRAÎCHE ET FILIGRANES. INFOS: WWW.FOXYLADYPROJECT.FR

TEXTE LAURENT HOEBRECHTS

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