La création avec téléphone portable fait de chacun un producteur potentiel d’images. Avec les enjeux artistiques, mais aussi éthiques que cela suppose. Le point, à l’occasion de Cine Pocket.

C’était en 2005. A l’écoute des mutations de la société, le Forum des Images, à Paris, organisait le premier festival s’attachant à la création audiovisuelle avec les technologies mo-biles – un domaine à l’époque encore largement inconnu, pour un pari forcément audacieux. Trois ans plus tard, la manifestation a fait son chemin: démonstration, en juin dernier, au Centre Pompidou, qui accueillait, pendant trois jours, la quatrième édition du Festival Pocket Films.

Pratiques en devenir

Des films par centaines, de toutes provenances, destinés aux grands comme aux micro-écrans, et adoptant les formes les plus diverses – journal intime, £uvres graphiques, fictions, expérimentales ou non: il n’y avait qu’à déambuler entre les arbres à portables et les différentes salles abritant l’événement pour prendre la mesure de l’ampleur du phénomène. Et de l’explosion artistique le sous-tendant, associant aussi bien des artistes reconnus comme Isabella Rossellini ou Jia Zhang-ke, que de nouveaux auteurs tout particulièrement attachés au medium. Effervescence créative débordant, par ailleurs, vers les tissus associatif et éducatif, dès lors que le téléphone mobile met, désormais, la réalisation de films à la portée de tous.

« A l’origine, explique Benoît Labourdette, coordinateur général du festival, il s’agissait de questionner des pratiques en devenir. » Pour le premier festival, organisé en partenariat avec SFR, le Forum confie donc, en sus de « candidatures spontanées », des portables à des cinéastes et des plasticiens afin d’explorer les possibilités du médium. « Des gens ont commencé à inventer des choses. Les artistes se sont approprié le dispositif, et de nouveaux espaces de créativité se sont ouverts, exploités dans le cadre de projets cinématographiques. Aujourd’hui, l’expérimentation est toujours présente, mais le portable est aussi un outil intégré à la palette des outils de création audio-visuelle. » Et bénéficie, à l’occasion, d’un cadre de diffusion classique: on a ainsi pu voir dans les salles françaises, en mai dernier, un premier long métrage réalisé avec un portable, J’aimerais partager le printemps avec quelqu’un de Joseph Morder, tandis qu’Arte produit et diffuse des courts métrages tournés avec des téléphones mobiles.

Une question de regard

Ce n’est pas là l’unique évolution d’une production en plein essor. Responsable de la programmation du Festival, Yves Gaillard observe: « L’évolution de la technologie influe sur la programmation. A un moment, les cinéastes utilisaient la qualité médiocre de la définition. Cette dimension s’est perdue avec l’amélioration du matériel. On a eu aussi beaucoup d’installations de plasticiens. Aujourd’hui se sont ajoutés aux films tournés par téléphone portable ceux développés pour les écrans de poche. L’approche en est plus graphique, rythmée, parce qu’ils sont conçus pour un visionnage en mouvement. »L’autre champ d’action tient, bien entendu, à la nature même du portable, chacun, ou peu s’en faut, ayant désormais sa caméra dans la poche. « Pour les adolescents, avoir un téléphone qui filme fait désormais partie de la construction sociale, souligne Benoît Labourdette. On est en présence d’un usage massif, assez inconscient. Il me semble important d’y apporter un esprit critique et la compréhension du langage. Mais aussi de s’interroger sur ce que l’on dit à l’autre en filmant.  »

Aux dimensions esthétiques sans ajoutent donc d’autres, sociologiques ou éthiques. « On est là en présence d’un vaste chantier de réflexion. L’erreur à ne pas commettre serait de se positionner en détenteurs du savoir », poursuit-il. Non sans prôner un questionnement sur l’image: « L’importance n’est pas tant le sujet filmé que le regard que l’on porte dessus. Le téléphone est une caméra parmi d’autres, qui vaut le coup d’être travaillée, tant pédagogiquement qu’artistiquement. Ce n’est pas un genre en soi, mais une pratique… » Avecses contraintes, liées au dispositif même, mais aussi ses possibilités, innombrables.

TEXTE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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