Adaptant Max et les maximonstres, classique de la littérature enfantine de Maurice Sendak, le réalisateur américain signe un film on ne peut plus étonnant et personnel, au confluent de l’enfance et de son univers.

Enfant du clip et de la pub, Spike Jonze faisait, il y a tout juste 10 ans, une entrée fracassante dans le monde du cinéma. Scénarisé par Charlie Kaufman, Being John Malkovich ne s’appuyait pas seulement sur un concept curieux -un homme découvrait une porte secrète lui permettant de se retrouver Dans la peau de John Malkovich-, il révélait aussi un maître-réalisateur en sus de l’auteur à l’univers singulier. Tour à tour acteur ( Three Kings de David O. Russell), producteur ( Human Nature de son comparse Michel Gondry), et à nouveau réalisateur pour un Adaptation à peine moins barré, et propulsant cette fois son personnage dans la peau d’un certain… Charlie Kaufman, scénariste en proie à une profonde crise d’inspiration, Spike Jonze n’aura cessé, ensuite, de cultiver un sens aiguisé du décalage. Adaptation du classique de la littérature enfantine de Maurice Sendak et fruit de 4 ans de labeur, Max et les maximonstres ( Where the Wild Things Are en VO), son troisième long métrage, ne dit pas autre chose, film sur l’enfance au moins autant que pour enfants, en même temps que voyage éminemment « jonzien ». De quoi, forcément, titiller la curiosité à l’heure de rencontrer un artiste qui, aux côtés d’un Wes Anderson, compte assurément parmi les personnalités les plus singulières révélées récemment par le cinéma américain.

Là, tandis qu’on le retrouve dans le calme d’un hôtel proche d’Oxford Street, une guitare acoustique gît à ses pieds. « Je l’avais oubliée dans la voiture hier soir, et on vient de me la rapporter », s’amuse-t-il, alors qu’on lui demande s’il pousse la chansonnette entre deux entretiens. Spike Jonze est visiblement détendu. Alors que l’on redoutait quelque pisse-froid, eu égard à une liste de questions qu’il avait obligeamment fait parvenir aux journalistes devant le rencontrer, afin qu’il n’eût pas à encore y répondre, le gaillard affiche la quarantaine juvénile, enthousiaste et affable. Du genre aussi à prendre un plaisir et un intérêt manifestes à amener le jeu du question/réponse sur le terrain de la conversation avec son interlocuteur. En l’occurrence, elle s’engage sur le public potentiel du film, envisagé en termes de tranches d’âge. « Il est clair que le film ne concerne pas les tout jeunes enfants, il est sans doute trop intense émotionnellement. Encore que l’on soit parfois surpris. Dans mon esprit, le film est adapté aux enfants à partir de 7 ou 8 ans. Je suis aussi curieux de voir quel en sera l’impact dans les pays où le livre est moins connu… »

Being Maurice Sendak

S’agissant du monde anglo-saxon, l’ouvrage de Maurice Sendak y est considéré comme un classique, de ceux qui accompagnent pour ainsi dire chaque enfant, celui que fut Spike Jonze comme tant d’autres. « J’ai grandi avec ce livre, et j’ai, en quelque sorte, toujours considéré qu’il m’appartenait, tant je l’aimais. Mais j’ai aussi réalisé que nous étions nombreux à être dans ce cas, observe-t-il . La notoriété de Max et les maximonstres m’a quelque peu inhibé dans un premier temps. Mais Maurice Sendak, qui en plus d’être l’auteur du livre a servi de mentor sur l’ensemble du projet dont il est aussi le producteur, s’est montré inflexible: il tenait absolument que j’en fasse ma propre version…  » De quoi libérer l’imagination du cinéaste, qu’il laissera conduire l’histoire à sa guise, en compagnie du scénariste Dave Eggers. « Maurice a décidé de faire confiance à ma sincérité et à ma vision à un stade initial du projet, et il s’y est tenu, m’apportant toujours son soutien. A l’époque de mon premier film, Being John Malkovich , il a fallu longtemps pour que John Malkovich en accepte le principe. Je me suis rendu à Paris pour le rencontrer, nous nous sommes revus à New York, et pour de fort bonnes raisons, il n’était pas certain d’avoir envie de faire le film -il pouvait légitimement s’interroger sur nos intentions, et sur le fait que l’on veuille peut-être se moquer de lui. Il devait évaluer cela, voir d’où nous venions. Mais une fois qu’il a décidé de dire oui, il s’est engagé, s’est littéralement donné au film, et a accédé à toutes mes demandes. J’ai ressenti la même chose avec Maurice -une fois qu’il avait décidé de s’engager, il s’y est tenu. »

Adapter Max et les maximonstres n’a pas été pour autant une mince affaire; déjà que l’histoire originale – le voyage imaginaire d’un enfant dans un pays peuplé de monstres géants et en proie au chaos, où se noue un curieux tissu de relations- tient en quelques pages et une poignée de lignes à peine. « Tout le film s’est révélé un défi, nous ne nous sommes certainement pas facilité la vie, opine Spike Jonze. Le scénario parle de relations compliquées entre Max et les Wild Things et entre Max et sa mère, il ne s’agit pas de l’un de ces films reposant sur une grande intrigue où il faut se rendre quelque part pour sauver une princesse. Cela constituait un défi, et la manière dont nous avons tourné en était un autre, très encombrant. «  Pourquoi faire simple lorsque l’on peut faire compliqué, en effet? Souhaitant que l’aventure de Max ait l’air aussi authentique que possible, le cinéaste opte pour un tournage en décors naturels, dénichés en Australie. Dans le même ordre d’idée, les monstres sont en fait des marionnettes géantes habitées par des comédiens, l’animation numérique ayant permis d’étoffer les expressions de leurs visages – « amener et déployer tout ce dispositif sur place n’a pas été des plus commode… « , observe-t-il. Enfin, cerise sur le gâteau, les acteurs prêtant leur voix aux créatures (Forest Whitaker, Chris Cooper, Lauren Ambrose et quelques autres) ont enregistré en amont sur un plateau, interprétant le film à la façon d’une pièce de théâtre, histoire d’en renforcer la spontanéité et d’élargir la gamme des émotions et sentiments des maximonstres. A charge pour les acteurs australiens endossant ensuite les costumes de s’inspirer de leur gestuelle. « La facilité n’entre pas en ligne de compte, si ce n’est pas approprié. Il faut s’en tenir à ce qui convient au type de film que l’on veut faire », souligne Spike Jonze.

Le résultat est rien moins que probant, qui fait de Max et les Maximonstres un fascinant voyage dans l’imaginaire enfantin, en même temps qu’un récit d’aventures à ramifications multiples. S’il y a là, bien évidemment, un film à hauteur d’enfant, fidèle d’ailleurs dans l’esprit et même parfois dans la lettre au livre de Maurice Sendak, impossible de ne pas y voir aussi le prolongement des thématiques qu’abordait le réalisateur dans ses deux premiers longs métrages. Max rejoint ainsi des personnages dont « l’évasion » est aussi le meilleur moyen de tenter de trouver leur place dans le monde, et son expérience n’est, dans ce sens, pas tellement éloignée de celle du Nicolas Cage de Adaptation. Un auteur en revient-il toujours, fondamentalement, à la même histoire? « Maintenant que vous le relevez, je peux imaginer où sont les similitudes. C’est difficile d’avoir ce type de regard sur son propre travail. J’ai tourné des vidéos musicales, des documentaires, Jackass , un film pour la campagne d’Al Gore en 2000, et j’ai le sentiment d’avoir abordé un large spectre de choses. Mais envisagé de ce point de vue, peut-être y a-t-il en effet quelque chose d’assez similaire -c’est une perspective intéressante, en tout cas… « 

Une autre, qui ne l’est pas moins, c’est de voir cette capacité qu’a eue Spike Jonze à préserver son indépendance et sa personnalité au c£ur de l’industrie américaine du cinéma, s’attirant par ailleurs les faveurs tant du public que de la critique. « J’ai beaucoup de chance. Je ne sais pas à quoi cela tient. C’est vrai aussi de Wes Anderson: chacun de ses films lui ressemble, est complètement personnel, et il est apprécié. C’est difficile, cela dit: faire passer Where the Wild Things Are par le système fut tout sauf simple. Le studio était très nerveux, parce que ce film ne ressemble pas à ce qu’un film pour enfants est censé être. Quand on leur a dit qu’il s’agissait de laisser cet enfant être un enfant, et de les prendre au sérieux, lui et le monde dans lequel il évolue, cela n’a pas été simple. Mais en même temps, ils ont choisi de faire le film, et m’ont donné l’argent nécessaire, avant de le sortir en grand…  » Au fait, que voudrait-il que le public retienne de ce voyage au pays des maximonstres? « Si les gens y repensent, et que ce film les accompagne un moment, parfait…  » Message reçu 5 sur 5…

Rencontre Jean-François Pluijgers, à Londres.

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