Avec Un bruit qui court, Pauline Croze a sorti un des meilleurs albums en français de 2007. Aussi limpide que culotté. Rencontre à Paris avant son concert bruxellois.

Et dire qu’on a failli passer à côté… En vrai, depuis que le second disque de Pauline Croze s’est glissé dans le lecteur de CD, il ne l’a que rarement quitté. Il s’en est pourtant fallu de peu. Après tout, pourquoi jeter une oreille sur le second album d’une artiste dont on a zappé le premier, sorti en 2005, croyant en connaître les contours à l’avance. Une nouvelle chanteuse française, guitare en bandoulière… Une de plus! D’accord, elle a au moins eu le bon goût de ne pas se présenter sous son seul prénom. Mais après? Après, heureusement, il y a toujours des gens qui vous veulent du bien. Et qui insistent:  » Jette une oreille, fais-le.  » On se permet ce préambule parce que vous êtes peut-être aussi dans le cas. Alors, jetez une oreille au Bruit qui court, second disque de la Parisienne Pauline Croze (28), faites-le. On y croise des chansons, toujours. En français dans le texte, certes. Mais avec le nez qui va farfouiller dans la world music ( Un bruit qui court, Nous voulons vivre, La couleur de la mer,…) ou le jazz ( Sur ton front, A l’évidence, Les gens qui jasent…). Et la voix aussi qui, sans l’épate d’une Camille, sort souvent de la file pour essayer des routes moins conventionnelles. « Le chant, c’est une manière d’oublier mon corps, de s’échapper de la réalité, dit-elle . Globalement, c’est une histoire de souffle, de vent, de liberté. » Qualité rare: disque de rupture, Un bruit qui court réussit à combiner la force de l’originalité et la grâce de l’évidence. Lumineux. Pareil à cet après-midi parisien de janvier, qui a déjà des airs de printemps. On retrouve la jeune femme, détendue, relevant à intervalles réguliers la mèche qui lui mange la moitié du visage.

Le premier album.  » Je suis toujours contente de l’avoir fait. Mais avec le recul, je suis plus critique. Je lui reproche d’être trop sombre par moments; il y a aussi des lourdeurs dans certains textes. J’avais une urgence à dire certaines choses, et du coup, je n’ai peut-être pas fait assez attention à la forme. Pour le second, j’ai voulu aller vers quelque chose de plus léger, et épuré. »

Les voyages. « Pendant la tournée, on a pu se rendre au Chili. Ensuite, je suis encore partie de mon côté en Islande, aux Etats-Unis, en Jordanie, et aux Pays-Bas aussi. Ce n’est pas anecdotique. Cela m’a ressourcée. Clairement, cela m’a aidée à piocher en moi des nouvelles choses. Des sensations, des paysages que je ne connaissais pas, et qui m’ont nourrie. J’imagine que les chansons s’en sont ressenties, mais sans pour autant qu’elles s’inspirent de la musique du pays. Puis, j’ai le sentiment qu’à l’étranger, une autre facette de nous se révèle. On est quand même conditionné par la manière dont on nous perçoit: nos amis, la famille, les gens avec lesquels on travaille… Ils nous voient d’une certaine façon, et quelque part, on se laisse aussi porter par ça. A l’étranger, ce n’est plus le cas. On n’est plus obligé d’être ce que les gens attendent. Du coup, musicalement, cela m’a aidée. A chercher des nouvelles choses, des autres façons d’être soi. « 

La chanson française. « C’est très peu mon bagage. Mes parents en écoutaient, mais je m’en suis vite détournée. Je n’y retrouvais pas l’intensité musicale que je cherchais. Même s’il y a quelques artistes, par touche et par morceau, qui me plaisent. Au fond, ce qui me pose problème dans la chanson française, c’est qu’il y a quelque chose qui ne rebondit pas. C’est plus carré, ça balance moins. Il n’y a pas ce truc qui roule, qui tourne. Le swing me manque. Si je chante en français, ce n’est pas du tout pour faire de la chanson. Il se trouve que c’est ma langue, que j’aime la musique, et que j’ai envie de réunir les deux. Quand je me tourne vers des sons – pas exotiques, je n’aime pas ce mot -, mais disons « du monde », ce n’est pas du tout pour faire la maligne. C’est ce que j’écoute vraiment. Du reggae, du jazz, de la nu soul… »

Le saxophone, et autres instruments « buissonniers ». « Le saxo, j’en ai fait pendant 3 mois à l’âge de 14 ans. Comme je le louais, j’ai dû arrêter. Mais j’ai toujours voulu en refaire. A côté de ça, je trouvais qu’on n’en entendait plus beaucoup. C’est un instrument qui a eu son heure de gloire dans le courant des années 80. Avec parfois des choses horribles aussi. Un morceau comme Modern Love de Bowie, par exemple, ça colle, mais cela n’était pas gagné au départ. J’adore aussi les cuivres dans le reggae, tous ces riffs magnifiques. Donc j’ai été acheter un saxophone, et empiriquement, j’ai commencé à chercher quelques notes, des idées. Quelques bribes, juste pour poser une couleur. On a également utilisé un gamelan, une sorte de batterie de percussions, de cloches, de gongs… Pour cela, on est allé à la Cité de la musique à la Villette, et là encore, on a cherché des sons, tout simplement. »

Wayne Shorter. (musicien de jazz, il a joué avec Miles Davis, a fondé Weather Report,…). « Il y a dans son jeu un groove et un côté soul qui me plaisent énormément. Je suis fascinée par ses mouvements, les traits de note qu’il peut avoir. Je m’entraîne souvent à chanter par-dessus ses solos. J’essaie de sortir de ma logique de chant pour aller vers sa logique à lui. Toute seule, je n’arriverais pas à trouver les inflexions que ce genre d’instrument peut dessiner. En fait, il m’emmène vers un terrain sur lequel je n’ai pas de repères. Sans mot, purement du souffle. Du coup, c’est une autre logique de respiration, de note tenue ou pas. Après, quand je reviens à mon chant et mes mots, j’espère que ça déteint un peu sur l’interprétation. Mais je ne suis pas encore certaine que ça marche.  » (rires)

u CD chez Wagram/Bang!. En concert le 15/2, au Botanique, à Bruxelles.

u www.paulinecroze.com

TEXTE LAURENT HOEBRECHTS

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