Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Dan entend des voix – La moitié du duo US The Black Keys réalise un disque organique et caméléon autour de la voix et du blues. Comme si Lennon était né au bord du Mississippi.

« Keep It Hit »

Distribué par V2 Records.

Le chant de Dan Auerbach accroche d’emblée. Sur le premier morceau nu comme un caillou, une guitare acoustique esseulée sert d’écrin récepteur à la voix qui, avant le décodage du texte, raconte déjà une histoire. On est d’emblée au c£ur de l’Americana, ce vieux pays qui sert à fantasmer sur les peuples de la nation étatsunienne: la soul, la country, le hillbilly et leurs amis. Agrippé par cette entrée ferme, on se laisse enrouler dans la seconde plage, I Want So More, où Dan fait reculer sa voix dans le mix, au profit des pions instrumentaux. Ceux-ci, centrés autour d’une rythmique qui se cogne la tête pendant plusieurs minutes, laissent la guitare électrique dérouler un cordon ombilical space out, méthode bénissant aussi le troisième titre. Là, c’est la même six cordes – plus hargneuse encore – qui guide le mouvement, alors qu’Auerbach, vocalises en pleine séance de réverbération, tente de nous faire croire que l’amour ne se répare pas ( Heartbroken, In Disrepair). A la quatrième plage, Danny nous désoriente par un court épisode industriel, avant un cinquième tour de piste intimiste ( Whispered Words). On cerne alors pourquoi cette voix, qui change sans cesse d’humeur et de partenaires, est le centre de gravité du disque. Elle nous rappelle Lennon, avec son goût prononcé pour l’écho qui l’isole encore un peu plus du reste du monde (cf Real Desire, My Last Mistake). Elle brandit un truc émotionnel, terrien, organique, digne de l’ex-Beatles. Capable de nous emmener dans la plongée mélancolique When The Night Comes, qui, chez d’autres, évoquerait un retro abusif alors qu’elle s’épanouit simplement dans le sentiment rauque. Pas qu’on insinue que le Dan soit ventriloque, changeant de truc vocal à chaque histoire. Non, dans le caméléonisme qu’il nous propose, se trouve une matrice malléable qui retourne sans cesse aux différentes formes du blues.

songwriter talentueux

Tendances rurale, crue ou psychédélique, éclatées en une armée de couleurs. Songwriter indéniablement talentueux, Auerbach, l’utilise sans obligation, l’oublie pendant une paire de morceaux avant de l’embrasser pleine bouche via une guitare affamée ( Mean Monsoon). Curieux disque inclassablement attachant, ce Keep It Hid fait dans l’imprévisible. Jamais le morceau à venir ne semble formaté. Ce n’est pas une raison suffisante pour s’arrêter au bout des quatorze titres: au contraire, à ce stade-là, on redémarre l’album parce que le puzzle reste à compléter, la soif à étancher. Ce petit bijou a été enregistré entre famille et amis dans le studio personnel de Dan, à Akron, Ohio: en analogue, usant sans en abuser d’équipement vintage. Cela explique pourquoi le son est si près de nous, si chaud. Et que l’on n’a aucune envie de le quitter pour l’une de ces productions qui exhibe sa petite culotte digitale dans les charts…

www.myspace.com/danauerbachmusic

Philippe Cornet

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