Colère noire

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Un texte de l’écrivain James Baldwin porte ce film dénonciateur d’une injustice encore douloureuse.

I Am Not Your Negro

De Raoul Peck. 1 h 33. Dist: Dalton.

8

À voir les images récentes d’émeutes et d’affrontements avec la police incluses dans le montage du film, on se dit que le pessimisme affiché par James Baldwin(1) sur le plateau du très populaire Dick Cavett Show en 1968 n’a pas été totalement démenti depuis un demi-siècle. Même si les États-Unis ont fini par élire un président afro-américain en la personne de Barack Obama… L’idée de I Am Not Your Negro est venue d’un texte inédit de Baldwin, une trentaine de pages titrées Remember This House et rédigé suite aux assassinats de trois amis de l’écrivain, trois figures de la lutte pour les droits civiques et pour la cause des Noirs américains: Medgar Evers (tué en 1963), Malcolm X (abattu en 1964) et Martin Luther King (tombé en 1968). James Baldwin avait quitté les États-Unis pour la France à la fin des années 40, frustré par les discriminations visant les Américains « de couleur ». Il y était revenu en 1957 pour s’investir dans une militance qui lui avait fait côtoyer les trois héros auxquels son texte rend hommage, tout en reprenant le flambeau d’une révolte toujours bien vivante. Le réalisateur Raoul Peck a voulu exhumer la parole de l’écrivain dans un film rassemblant de nombreuses images d’archives et auquel Samuel L. Jackson prête sa voix unique pour un « off » terriblement éloquent.

La parole de Baldwin est forte, qu’elle passe par l’écrit ou lors de débats dont Peck intègre à son documentaire de nombreux extraits, lumineux d’intelligence et vibrant d’une colère contenue des plus impressionnantes. Le cinéaste haïtien, à la filmographie politiquement engagée (on lui doit notamment un remarquable Lumumba sur le leader révolutionnaire congolais assassiné en 1961), fait résonner ces mots avec une singulière puissance. Avec aussi, tristement, une pertinence qui reste grande un demi-siècle plus tard. Baldwin affirme que le plus grave n’est pas le racisme de certains Blancs mais l’ignorance et l’indifférence d’une majorité d’entre eux vis-à-vis de ces Noirs qui vivent en marge d’un rêve américain trompeur, parce qu’uniquement consumériste et basé sur des chiffres plutôt que sur l’humain. L’actualité toujours grande de cet amer constat invite à replacer le combat contre l’injustice raciale dans un contexte social plus large, où il continue aujourd’hui encore à faire tache, à déranger. Alors quand Dick Cavett demande à James Baldwin pourquoi les Noirs ne sont pas plus optimistes, la réponse d’un écrivain sidéré par cette interrogation garde son tranchant aujourd’hui encore. Et invite à une réflexion que I Am Not Your Negro alimente d’arguments abondants.

(1) Né en 1924 à Harlem, New York, mort en 1987 à Saint-Paul-de-Vence, James Baldwin se révéla en 1953 avec un premier roman semi-autobiographique intitulé La Conversion. Son oeuvre multiple (romans, nouvelles, poésie, essais) exprimera la pression sociale visant les Noirs mais aussi celle vécue par les homosexuels.

LOUIS DANVERS

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