Cochon qui s’en dédit

© WOLFGANG SCHMIDT

Écrit par l’Autrichien Robert Menasse, un roman d’espionnage burlesque et satirique sis à Bruxelles gratte le vernis policé de la Commission européenne.

Un cochon déboule dans le centre-ville de Bruxelles, créant un vent de panique. Un homme est tué dans sa chambre d’hôtel, à proximité de cette scène chaotique. C’est sur ces prémices a priori peu conciliables que Robert Menasse ouvre la porte de son labyrinthe tortueux et futé. Parmi les nombreux témoins du passage de l’intrus à groin, il y a Fenia Xenopoulou. Fonctionnaire européenne reléguée à son plus grand dam à la Direction générale de la culture (vraie voie de garage), la voilà prête à tout, y compris lire un roman, pour se faire remarquer. L’occasion de briller va peut-être lui être donnée par le « Big Jubilee Project », à l’initiative de la DG COMM, désireuse de redorer la « corporate identity » de la Commission. Le hic? Un subalterne, Martin Susman, fils d’un industriel tué par une machine broyant les os de porc, est revenu halluciné d’une visite à Auschwitz. Il est persuadé que la solution réside là, que le sentiment transversal d’Europe n’ayant jamais été si fort que dans et après les camps, il serait bon de mettre les derniers rescapés au centre de la célébration. Encore faudrait-il en retrouver au moins un… Pendant ce temps, un inspecteur brusseleir mène l’enquête sur le meurtre de l’hôtel Atlas, et la presse monte en mayonnaise l’affaire du cochon itinérant.

Cochon qui s'en dédit

Made in Brussels

Ce n’est là qu’une ébauche des ramifications de ce roman protéiforme. Pro-européen jusqu’à la moelle (comme en témoigne En finir avec les nationalismes, publié en 2015), l’Autrichien Robert Menasse n’en est pas moins lucide lorsqu’il se gausse des carriéristes et des fonctionnaires planqués de l’institution, surjouant cocassement leur novlangue et leur lâcheté. En refusant de trancher entre la satire, l’enquête et l’espionnage, il nous balade avec jubilation autant qu’il nous bluffe. En ajoutant à son arsenal des titres de chapitre à la manière des penseurs du XVIIIe siècle ( » Quand quelque chose se décompose, il y a forcément eu composition« ), il souligne combien les clés de lecture sont sans doute plus sibyllines et profondes qu’il n’y paraît. Enfin, il est toujours singulier pour un lecteur belge de se plonger dans un roman qui non seulement a été conçu chez nous par un auteur étranger, mais prend Bruxelles comme terreau. Il est ici patent que la résidence à la Maison des Littératures Passa Porta (rue Dansaert à Bruxelles) de Robert Menasse a porté ses fruits et a pu constituer une vigie idéale pour rayonner et s’imprégner avec crédibilité des lieux. De l’hôtel Atlas rue du vieux Marché au Grain à l’Osteria Agricola Toscana ou au cimetière de Laeken, les mentions géographiques qu’il injecte paraîtront familières aux locaux ou aux insiders de notre Pentagone. De même, l’inspecteur Brunfaut, personnage bédéesque au possible, et son collègue sont évidemment  » porteurs de l’écharpe humide« , celle des supporters du RSC Anderlecht. Cette vraisemblance n’est évidemment que la chantilly sur une gaufre propice à mettre nos synapses en ébullition au sujet de l’Europe et de la nature humaine, mais elle nous rend La Capitale plus savoureux encore.

La Capitale

De Robert Menasse, traduit de l’allemand (Autriche) par Olivier Mannoni, éditions Verdier, 448 pages.

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