Né en Irlande, installé à New York, Colum McCann écrit des histoires poignantes dans une langue aux sensations électriques. La dernière, Et que le vaste monde poursuive sa course folle, est un roman attachant implanté dans le New York seventies, écho à peine distordu aux événements du 11 septembre.

« J’ai comme les pales d’un ventilateur qui tournent dans le ventre. » Ou encore  » On touchait à la beauté la plus pure, la somme de mille intelligences imprimée sur une pastille de silicium. » Dans son nouvel ouvrage, Colum McCann écrit toujours avec l’estomac, avalant cul sec une langue fourmillante et polyphonique. Il enlève la peau des mots pour en laisser voir le noyau, pas par exhibitionnisme mais par envie d’épouser l’essentiel. Cela donne des phrases en 220 volts qui construisent un arc lumineux autour du réel. Au c£ur de ce réacteur émotionnel, il ancre sa fiction, par exemple Danseur – succès international en 2003, près d’un million d’exemplaires vendus -, inspiré de la vie tourmentée de Rudolph Noureev. McCann est du genre à partir plusieurs mois dans les campements tziganes de Slovaquie parce qu’il veut débusquer le temps des gitans. Cela donne Zoli – en 2007 -, histoire maudite d’une princesse du voyage abandonnée par les siens. Il y a du Jack Kerouac là-dedans, pour la nécessité quasi physique de prendre la route des mots. Et aussi du Michael Herr – l’auteur de Putain de mort, scénariste d’ Apocalypse Now – dans la façon de chercher le contact physique des hommes et des éléments. De leur éplucher l’âme en espérant atteindre la mémoire, l’identité, tous signes qui scellent le destin. Né en 1965 à Dublin, le vaillant quadra a passé une enfance dans une  » famille heureuse, la pire chose pour un écrivain de fiction ». A voir.

Comment passe-t-on de l’Irlande à New York?

J’ai quitté l’Irlande à l’âge de 21 ans et je suis arrivé à Cape Cod (presqu’île assez chic pas loin de Boston, NdlR) où j’ai fait des tas de petits boulots pendant quelques mois. Puis j’ai traversé l’Amérique à bicyclette pendant une année et demie, roulant 18 000 kilomètres. J’ai rencontré beaucoup de gens, développé des histoires, vécu des aventures au Nouveau-Mexique ou dans le Mississippi. J’ai fini par arriver au Texas et étudier à l’Université. Puis j’ai rencontré ma femme italo-américaine et on est partis au Japon pendant un bout de temps. Je vis à New York depuis une quinzaine d’années, dans l’Upper East Side… Je suis parti d’Irlande par curiosité, j’étais fan des écrivains beat, de Kerouac, il fallait que je me remplisse de ce monde-là.

Y a-t-il plus d’histoires en Amérique qu’ailleurs?

Il s’y passe une collision de cultures qui doivent donner du sens à leur coexistence. En Amérique, on est directement en dehors de la norme. New York est fantastique pour cela, c’est le seul endroit où on arrive un jour, pour être new-yorkais le lendemain. Il y règne une curiosité extraordinaire et la nécessité de dire  » C’est moi! ». On peut tout y perdre, y compris son passé. Une constante de la littérature américaine qui remonte à Gatsby le magnifique (1), c’est la possibilité de renaître… Il me semble que New York pulse de toutes ces voix et on y devient donc citoyen d’un  » ailleurs », pas du monde, cliché idiot.

Dans Et que le vaste monde…, vous partez d’un fait divers réel: le 7 août 1974, le français Philippe Petit s’élance sur une corde tendue entre les 2 tours du World Trade Center…

Oui. La ville est au bord de la faillite, les soldats reviennent du Vietnam, on parle de la théologie de la libération, on se pose des questions sur la validité de l’art. Dans ce livre, on peut remplacer le Vietnam par l’Irak et il y a le désir de vouloir prendre ses distances avec cette machine à chagrin que fût le 11 septembre. Mon beau-père a juste eu le temps d’échapper à l’écroulement de la seconde tour, je connaissais beaucoup de pompiers qui y sont morts, des gens que je voyais au pub… Le 11 septembre a produit de la destruction supplémentaire, l’Afghanistan, l’Irak, les 8 années de Bush, les pires du dernier siècle en Amérique. En fait, le numéro d’équilibre du livre se passe au sol, pas dans les airs.

La littérature est-elle moins importante qu’il y a 10 ou 15 ans, n’est-elle pas dévorée vivante par les jeux vidéo ou Internet?

Elle occupe moins de place. Si Steinbeck était là aujourd’hui, il serait étonné qu’il n’y ait pas encore de grande narration sur l’ouragan Katrina par exemple. Le jour même du 11 septembre, tout était sur le Net, les images se trouvaient diffusées partout dans le monde. J’étais dans mon appartement de la 71e Rue, à 7 ou 8 kilomètres du WTC, et c’est ma s£ur qui m’a appelé de Londres, hystérique, pour me donner la nouvelle… Tout à coup, tout prenait un sens: un chien se promène seul sur le Pont de Brooklyn et on pense que son maître est mort, un bout de cendre colle à ma fenêtre, il est peut-être humain. Si vous êtes écrivain, comment faire du sens d’un tel événement? Il m’a fallu attendre… Mais les livres seront toujours là, il y a un profond besoin humain de lire.

(1) roman classique de FS Fitzgerald publié en 1925.

Rencontre Philippe Cornet, à Paris.

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