Le mythique Cocksucker Blues tourné en 1972 par Robert Frank sur la sulfureuse tournée des Rolling Stones en Amérique, ressurgit via YouTube.

C’est un putain de bon film, Robert, mais si on le projette en Amérique, on ne pourra plus jamais y faire de tournée.  » Voilà ce que Jagger avait dit à Frank, à l’issue d’une première vision de ce Blues du suceur de bite (sic). Faisant par la suite un procès au réalisateur américain d’origine suisse sur la distribution du film: celui-ci ne pourrait être vu qu’une poignée de fois par an à la condition expresse que Frank assiste à la projection… Le Stones en chef a vite pigé que ce film tourné en cinéma vérité (…), au c£ur même de la machine stonienne durant le périple US déglingué de l’été 1972, ne ferait rien de bon pour l’image du groupe. Mais quelle image? Celle des multiples scènes de dope? On y voit en effet une valse de coke, de seringues et d’héro. Comme la danse de groupies servant d’appât sexuel à l’amusement collectif lors d’un trajet en avion, c’est assez pathétique. Rien de nouveau sous le pavillon stonien, sauf que là, le cirque n’est pas intra muros. On y voit aussi Keith Richards fixer le réalisateur, juste avant de balancer un téléviseur de sa chambre d’hôtel quelques étages plus bas. Ou Jagger s’emmerder ferme avec Bianca, nymphe latino en parade, pendant une journée de repos.

Dans cette chronique assez morbide, le monde stonien vit à deux vitesses: avec l’entourage immédiat et technique de la tournée, mais aussi avec un pâté de célébrités jet-set (Warhol, Truman Capote, Dick Cavett) qui visitent la coulisse comme on graisse le moteur glamour. Un verre, un sniff et on redémarre plein pot.

Métaphore de l’ennui

La pellicule, du 16 mm, est la plupart du temps traitée en monochrome bleuté, l’image visiblement poussée d’un ou deux diaphs, a du grain et une netteté approximative. Les concerts, passés à la couleur, n’ont rien du multi-caméra usuel, et font penser à une captation piratée du public. L’ensemble est trop long – 93 minutes – mais cet ennui qui gagne parfois est sans doute la métaphore de l’ennui même de la tournée, des attentes mornes, de ces backstages énormes et désuets de stades de baseball, de l’état physique désastreux de Richards tout en dents pourries, du sentiment de vide qui domine les journées avant les shows et peut-être même bien les nuits d’après-concerts. En ce sens, Frank a fait du bon travail réaliste. Mais le photographe célébré pour son remarquable livre de photos sur une Amérique esseulée ( The Americans, paru en 1958) a aussi conditionné ce qui est filmé. Son partenaire ingé son Danny Seymour, lui-même camé, profite de ses  » connections » pour approvisionner les Stones et leur entourage en dope: cela ne peut que stimuler les images… Cinéma plus ou moins vérité donc. N’empêche que jusqu’ici, seules de (très) rares projections, généralement aux Etats-Unis, et des DVD pirates, permettaient de voir le film. Aujourd’hui, il est disponible – en tranches – sur YouTube. Il mérite d’être regardé, avant tout comme témoignage historique.

u Mot-clés YouTube: schulle 1967

LA CHRONIQUE DE philippe cornet

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