Dans un voyage introspectif en forme de percutant documentaire d’animation, le cinéaste israélien Ari Folman traque les ravages de la guerre.

Présenté en mai dernier à Cannes, le documentaire d’animation Waltz With Bashir devait y faire sensation. Sollicité de toutes parts, Ari Folman, son réalisateur, accueillait cette effervescence avec la superbe de celui à qui on ne la fait pas. Le parcours du réalisateur israélien est, il est vrai, peu banal – à commencer, bien sûr, par ce service militaire qui l’amènera à participer à la guerre du Liban en 1982, expérience traumatisante au c£ur de ce long métrage. Suivront un tour du monde vite avorté qui le voit s’installer dans une pension en Asie du Sud-Est et envoyer au pays des lettres d’un périple imaginaire. Et ensuite, le retour en Israël où, fort de cette expérience, Folman se met à étudier le cinéma. Après divers documentaires et fictions, Waltz with Bashir consacre sa reconnaissance internationale – on le rencontre donc logiquement dans la Babel du cinéma, sur l’une des terrasses du bord de mer, tandis que, deux tables plus loin, Jean-Claude Van Damme expédie la promotion de JCVD.

Un processus bénéfique

Ari Folman parle, pour sa part, du phénomène du stress post-traumatique; son film s’appuie en effet sur son histoire personnelle à compter du moment où il réalisa que des pans entiers de son existence avaient complètement disparu de sa mémoire:  » Je ne suis pas un cas isolé. Si vous considérez qu’Israël fait une guerre tous les dix ans, des milliers de personnes, de tous âges, y ont enfoui leurs souvenirs très profondément et pourraient continuer à vivre ainsi. Mais cela pourrait aussi bien exploser un jour » , observe-t-il sur un ton neutre.

Lui, a donc choisi de traduire son expérience en film,  » un processus bénéfique« , explique-t-il aujourd’hui:  » Avant, si je voyais une photo de moi à l’âge de 19 ans, j’avais l’impression d’avoir affaire à quelqu’un sorti d’une vie antérieure. Maintenant, je suis en mesure de vivre en paix avec mon passé. Face à la même photo, je sais que c’est moi, j’en suis simplement un peu plus loin… « 

A l’instar du film, on l’invite alors à opérer un flash-back sur ses 19 ans:  » Jusqu’au premier jour de la guerre, j’étais un type heureux, pas du tout destiné à être un soldat, j’avais eu une enfance agréable, sans engagement idéologique particulier lié au fait d’être Israélien. Par une coïncidence, je me suis retrouvé dans une unité d’infanterie, à la pointe du combat. Je suis resté pour les mauvaises raisons – se retrouver entre mecs, etc. -, mais après six heures de guerre, je savais déjà que tout cela n’avait pas de sens. A l’époque, il était inimaginable de prétendre rentrer chez soi, au beau milieu du combat – impossible, dans ce cas, d’encore vivre en Israël. Tout ce qu’on pouvait espérer, c’était ne tuer personne, ne pas être blessé, en finir, rentrer chez soi et se dire que tout cela n’était jamais arrivé.  »

De la guerre, Waltz with Bashir offre, du reste, l’image de cette effarante banalité, en traduisant éloquemment tant la vacuité que l’inanité.  » Lors des projections privées en Israël, les remarques portaient surtout sur les scènes les plus banales – lorsque, par exemple, on est assis sur un véhicule blindé et que l’on tire, sans penser. C’est là, bien souvent, le souvenir le plus fort de ceux qui ont participé à la guerre. Une minorité est passée par des choses atroces, mais pour la plupart, c’est juste ce sentiment insensé que rien ne s’est vraiment produit. La guerre ne ressemble pas à un film d’Oliver Stone…  »

Documentaire d’animation

Certes. On n’en est pas moins surpris par la forme du film, recourant à diverses techniques d’animation, pour un résultat frappant tant par son intensité que par sa vérité.  » Si l’on considère tous les fragments qui interviennent dans le film, souvenirs, subconscient, hallucinations, rêves éveillés, guerre, mort, il n’y avait pas d’autre façon de raconter cette histoire qu’en dessins. La structure classique d’un documentaire n’aurait pas été adaptée, il fallait que je fasse quelque chose d’extrême et de différent – c’était la seule façon de procéder.  » A quoi Ari Folman, ponctuant son film sur les massacres de Sabra et Chatila, veillera toutefois à ajouter cinquante secondes d’images d’archives:  » Il ne s’agissait pas que les gens puissent sortir de la salle en se disant quel chouette film d’animation, avec de beaux dessins, et de la super musique , au risque d’oublier que fondamentalement, des milliers de gens ont été assassinés, massacrés lors de ces événements.  »

Ce qui conduit à l’inévitable question sur la perception de son film en Israël: « Waltz with Bashir est totalement non politique. Dire aujourd’hui, en 2008, que l’invasion de Beyrouth Ouest, était la plus stupide des choses à faire, c’est de la vieille histoire, tout le monde le sait. Je n’apporte rien de fondamentalement neuf, si ce n’est la façon dont ce film a été réalisé. Mais sur le fond, rien d’essentiel, même en Israël. L’armée apparaît atroce dans le film? C’est vrai. Mais elle a été beaucoup plus critiquée lors de la seconde guerre du Liban qu’elle ne pourrait l’être dans un film d’animation…  »

Critique de Waltz with Bashir en page 30.

ENTRETIEN: JEAN-FRANCOIS PLUIJGERS, A CANNES

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content