Chinatown, intérieur

Dans le Pavillon d’or, restaurant de carton-pâte construit au sein d’un Chinatown de studio de cinéma, Willis Wu est un comédien qui, comme tous ses pairs, brûle de devenir  » Mister Kung-Fu » mais est assigné jusque-là aux échelons d' » Asiat de service« . Sous forme de scénario évolutif (de la série policière au film d’arts martiaux), le roman montre aussi l’envers/l’enfer du décor et les illusions qui, comme les corps exploités des acteurs jugés interchangeables, se flétrissent. Coincé entre Noir et Blanc, Willis est structurellement condamné à la marge réservée aux minorités invisibles. L’auteur passe au crible les traits traditionnellement associés aux personnages asiatiques (honte, spiritualité mutique, mystère) pour mieux les tordre, mais sa satire n’est jamais exempte de mélancolie. Le sentiment de culpabilité qu’éprouve son protagoniste envers les anciens se mue ainsi en réplique vidée de substance à force d’être répétée ( » J’ai déshonoré ma famille et maintenant je dois payer« ). Le lecteur perçoit qu’entre identité réelle et identité jouée persiste la possibilité d’une réinvention de soi, malgré un sentiment d’infériorité intégré. C’est dans cette ambivalence, portée par une férocité drolatique , que Charles Yu se montre le plus percutant. Reste à espérer qu’avec des plumes aussi incisives aux commandes de nouvelles narrations plébiscitées (il est aussi scénariste des séries Westworld et Legion, e.a.), l’industrie du divertissement va voir sa palette de représentations singulièrement se nuancer.

De Charles Yu, éd. Aux Forges de Vulcain, traduit de l’anglais (USA) par Aurélie Thiria-Meulemans, 274 pages.

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