AVEC SANTIAGO 73, POST MORTEM, PABLO LARRAIN PRATIQUE L’AUTOPSIE DU CHILI AU LENDEMAIN DU COUP D’ETAT MILITAIRE QUI RENVERSA SALVADOR ALLENDE. ET ASSORTIT SA RÉFLEXION D’UNE FASCINANTE PROPOSITION DE CINÉMA.

Parmi les nombreuses bonnes surprises d’une Mostra d’exception, Post Mortem (le Santiago 73 a été rajouté ultérieurement, à des fins de lisibilité, suppose-t-on), fit légitimement sensation; le genre de film qui laisse une marque indélébile sur le spectateur, tant le propos, aiguisé, s’y voit renforcé par une proposition cinématographique idoine autant qu’originale. En l’occurrence, Pablo Larrain opère un retour sur un épisode tragique, celui qui, le 11 septembre 1973, vit basculer le Chili dans la dictature militaire, après le renversement du président Salvador Allende par les troupes du général Augusto Pinochet. L’Histoire, le réalisateur l’embrasse toutefois par un chemin détourné, celui qu’emprunte un homme transparent, l’employé léthargique d’une morgue chargé de rédiger les rapports d’autopsie. De là à pratiquer celle du Chili de l’époque, il n’y a qu’un pas, franchi par l’auteur à l’aide de longs plans fixes à la texture grisâtre, collant à l’esthétique développée en son temps au sein de l’asociacion de fotografos independiente chilienne, et venus conforter le sentiment d’une société précipitée dans le formol. A 35 ans, Pablo Larrain appartient à une nouvelle génération de cinéastes chiliens, les Alicia Scherson, Sebastian Campos, Alejandro Almendras ou autre Matias Bize, nés, pour la plupart, aux sombres heures de la dictature de Pinochet, et dont les films figurent régulièrement au programme des festivals internationaux. Si Fuga, son premier long métrage, était resté inédit sous nos latitudes, Tony Manero a, par contre, eu les honneurs de la Quinzaine des réalisateurs, à Cannes, en 2008, 2 ans avant que Post Mortem ne concoure pour sa part au Lion d’or vénitien. Un film dont il nous expliquait alors la genèse: « Mon intérêt pour ces événements est précisément venu du fait que je ne les ai pas vécus. Je ne comprends pas tout à fait ce qui s’est produit, cela m’intrigue et reste à bien des égards nébuleux à mes yeux. C’est ce mystère qui a servi de déclencheur, et m’a donné l’impulsion pour faire un film. Par son côté mystérieux, absurde et humain à la fois, le sujet me semblait intéressant à débattre. »

D’autant plus, à vrai dire, qu’on y trouve l’écho de questions demeurées sans réponses, de problèmes restés en suspens, comme autant de plaies non cicatrisées au c£ur de la société chilienne. « Tant que nous ne saurons pas exactement ce qui s’est passé, et que nous ne mettrons pas en prison ceux qui doivent s’y trouver -cette génération est toujours bien présente et très forte-, quelque chose de très lourd demeurera, et continuera à diviser la société chilienne », observe Larrain. Un propos qu’il veut objectif plutôt qu’amer, complétant bientôt la réflexion d’une autre: « Le Chili est un pays très agréable à vivre -c’est une démocratie où les Droits de l’Homme et le respect ont droit de cité. Et où il est possible de faire un film de ce type avec le soutien du gouvernement. Sous la dictature, il aurait été inutile d’y penser. Après 20 ans de démocratie, tout est plus stable, et on peut désormais parler de ces événements. Post Mortem ne veut rien résoudre, pas plus que je ne veux dire ce qui est juste ou non, ni même poser de jugement. Il s’agit simplement de réfléchir à ce qui s’est produit à l’époque. »

Un anonyme au c£ur de l’histoire

Pour mener cette entreprise à bien, le cinéaste s’appuie sur un curieux binôme, Mario et Nancy, un non-couple apparemment insignifiant et dénué de charme, qui lui offre la métaphore pour le Chili d’alors: « L’intérêt réside, à mes yeux, dans la manière dont petite et grande Histoire se répondent », relève-t-il, en écho à une note d’intention où il explique encore que « L’idéal de Mario, conquérir l’impossible amour d’une femme, correspond à l’idéal d’un pays qui tente de conquérir un modèle politique noble mais inatteignable, le socialisme. » Mario, c’est l’encéphalogramme plat du film. Un personnage terne au point de se confondre avec le papier-peint, voire transparent jusqu’à disparaître derrière sa machine à écrire. A se demander si la paire Dutronc-Lanzmann n’a pas écrit « Tout est mini dans notre vie » en pensant à lui.

Aussi incroyable que cela puisse paraître, il est inspiré d’une personne ayant existé. « J’ai lu, dans un journal, un article relatif à l’autopsie d’Allende, raconte Pablo Larrain. J’ai ensuite surfé sur Internet, et j’ai trouvé le rapport d’autopsie original sur un site. Lire ce texte a quelque chose de choquant: c’est la description du Chili, l’autopsie de mon pays. Et ce document a été signé par 3 personnes: 2 docteurs bien connus, et un certain Mario Cornejo. Je me suis demandé de qui il pouvait bien s’agir, et j’ai entamé des recherches. Pour découvrir qu’il s’agissait d’un homme tranquille, aujourd’hui décédé, mais sur qui son fils nous a donné un maximum d’informations. C’était pour moi un point de départ fort intéressant: voilà quelqu’un de tellement commun en apparence, qui se trouve être là au c£ur d’un moment historique, sans que personne ne se soucie de lui, ni ne lui demande quoi que ce soit. Le plus fou étant d’ailleurs qu’il n’en a jamais parlé à quiconque. »

Si le nom est resté inchangé, le réalisateur a cependant veillé à tirer le personnage vers la fiction, faisant de cet individu effacé un fonctionnaire que son indifférence entraîne, sans qu’il en soit autrement ému, sur la pente savonneuse de la déshumanisation. « Je ne dirais pas de lui qu’il s’agit d’un monstre. J’essaye de ne jamais juger mes personnages, je me refuse à les observer d’un point de vue moral. Je préfère les laisser évoluer et se comporter tels qu’ils sont, sans quoi on risque d’être aspiré par une mécanique de film américain, avec un parcours moral qui débouche sur une rédemption. » Et d’enfoncer le clou de sa singularité: « On me demande parfois pourquoi les personnages de mes films se comportent de façon aussi curieuse. Mais si je prends ma caméra et que je viens vous suivre chez vous pendant une semaine, je suis persuadé que vous apparaîtrez comme le type le plus étrange de la terre (rires). Tout le monde est bizarre, mais le cinéma nous a habitués à une autre logique, où tout est idéalisé, et je trouve cela dangereux. La vie est étrange. Pensez aux films de Jim Jarmusch: aussi bizarres qu’ils puissent paraître, ses personnages sont probablement beaucoup plus vrais que tous ces protagonistes de films que l’on veut nous faire passer pour réels. » Appliqué à Post Mortem, le précepte ne manque pas d’interpeller: Santiago 73, Chili morgue plaine?

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À VENISE

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