Notre époque est obsédée par les nombres. Elle bouffe du chiffre au kilomètre. Un TOC qui n’épargne rien ni personne. Que ce soit pour évaluer la valeur (marchande mais aussi artistique) d’une peinture ou pour prendre la mesure de la catastrophe au Japon, on sort sa calculette. Manière d’objectiver une réalité floue, insaisissable, anxiogène. Et de faire chauffer la marmite des sentiments à la bonne température: 1000 morts, ça passe, 10 000 morts, on sort les mouchoirs, les mines déconfites et tout l’attirail compassionnel. Pour décrypter un monde aussi fourbe que le fameux effet papillon, on le traduit en unités, dizaines ou centaines, nous explique l’essayiste Isabelle Sorente dans la revue Ravages. Regardez autour de vous. La zone d’influence d’un people se mesure désormais à la carrure de son compteur d' »amis » sur Facebook, la pertinence d’une vidéo au tonnage de ses « vues » sur YouTube, la B.O. du moment à son taux de rotation sur les radios, la solvabilité d’un individu àla surface de son loft. Sans cette béquille arithmétique, le réel se dérobe. Et notre faculté de discernement avec… Dans le box des accusés, 2 récidivistes: la financiarisation du monde, qui a collé sur toute chose, matérielle ou non, une étiquette avec un prix; et cette vieille connaissance psychanalytique, la vanité, ce besoin maladif de tout contrôler, d’être aux commandes de sa vie. Signe de cette addiction: même quand le bon sens le plus élémentaire indique qu’un chiffre ne tourne pas rond, on se raccroche à cette bouée crevée pour se forger une « opinion » (ou pire, voter des lois) plutôt que de se laisser dériver sans boussole sur la mer de la subjectivité, de l’incertitude, du mystère. La culture est également contaminée. Et on ne parle pas du savoureux roman Mathématiques congolaises d’In Koli Jean Bofane ou des derniers albums de Keren Ann ( 101) et d’Adele ( 21). Mais de cette course pour figurer dans le peloton de tête des artistes convertis aux nouvelles technologies. Pas une semaine en effet ne se consume sans l’annonce de nouvelles fiançailles. Premier byook (ces livres numériques embarquant sons et images) sur iPhone pour Sherlock Holmes, premier film de cinéma, Night fishing, tourné avec le téléphone à tout faire d’Apple par le Coréen surdoué Park Chan-Wook, ou encore premier long métrage hollywoodien, Girl walks into a bar, calibré pour YouTube. Autrement dit, tourné avec un appareil photo et débité en tranches. Au-delà des statistiques, ce qu’on retiendra surtout, c’est que les artistes n’ont plus peur du Net et de ses suppôts. Ils commencent à les apprivoiser, à entrevoir une cohabitation. Comme les studios. Warner a ainsi mis ses 2 premiers blockbusters, Inception et The Dark Knight, en téléchargement sur l’Apple Store, la boutique en ligne du constructeur américain. Pour ceux qui auraient une subite fringale de Batman ou de DiCaprio. Coût à l’unité: 14,99 euros. Taille des fichiers: 2,2 Go. Dopés aux chiffres qu’on vous disait…

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PAR LAURENT RAPHAËL

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