Joann Sfar réalise en ce moment l’adaptation de sa BD à succès Le Chat du rabbin. Pour ce film d’animation inventif, les dessinateurs se sont inspirés de comédiens en chair et en os. Visite guidée.

Le chat n’a pas daigné se déplacer. Son maître, un poil plus corpulent mais pas moins volubile, le remplace pour donner la réplique à Maurice Bénichou. Le comédien a enfilé les pantalons bouffants du rabbin algérois pour jouer quelques scènes avec Joann Sfar, félin de circonstance, et sa fille de papier, Hafsia Herzi en Zlabya plus vraie que nature. Autour d’eux, une poignée de dessinateurs crayonnent furieusement l’allure de l’un, les minauderies de l’autre.

Cela ne saute pas aux yeux, mais on fabrique ici un dessin animé. Un long-métrage adapté du Chat du rabbin (Dargaud), la bande dessinée à succès de Sfar, dont les 5 tomes ont été vendus à plus de 700 000 exemplaires. Brillant touche-à-tout, Sfar a décidé d’agiter ses personnages. De les animer, au sens propre: donner la vie, insuffler une âme. Histoire de rendre la chose plus amusante, il ne s’est pas contenté de trouver des voix à ses héros. Il leur donne le corps des acteurs, qu’il livre en pâture aux crayonneurs. Car Joann Sfar ne fait décidément rien comme tout le monde.

Récit original

Tout a commencé à Cannes, en mai 2007. Alors que Persepolis, tiré du roman graphique de Marjane Satrapi, emballe la Croisette, Joann Sfar et ses complices Clément Oubrerie (le dessinateur d’ Aya de Yopougon chez Gallimard/Bayou) et Antoine Delesvaux annoncent qu’ils se lancent à leur tour dans la réalisation d’un long-métrage animé.  » J’avais refusé sept propositions successives d’adaptation du Chat , en live ou en animation, raconte Sfar. Au point qu’un jour, mes éditeurs de Dargaud m’ont demandé pourquoi j’étais si obstiné à dire non. C’est là que j’ai pensé le mettre en scène moi-même. Ma rencontre avec Clément et Antoine a précipité les choses. » L’histoire? Ni tout à fait la même ni tout à fait une autre. Avec sa coscénariste Sandrina Jardel, Sfar enchevêtre des éléments de plusieurs tomes pour en tirer un récit original.  » Il faut donner aux gens ce qu’ils ont aimé dans les livres, tout en leur racontant une nouvelle histoire« , souligne Sfar. Qui insiste pour mettre en scène un film de… dessinateur.  » Je me sens proche de cinéastes comme Kurosawa, Fritz Lang, Fellini ou Guillermo del Toro, qui ont pour point commun de dessiner leurs films. » Avec un certain sens du grandiose:  » Je refuse le minimalisme! Pour Persepolis , Marjane a choisi de porter très fidèlement son graphisme à l’écran. Moi, au contraire, j’aimerais faire quelque chose de vraiment cinématographique. Il y aura de grands espaces, de la profondeur de champ, des décors très détaillés. » Plutôt que de s’entourer d’animateurs blanchis sous le harnais, Sfar est parti à la pêche aux jeunes. Une bande de petits génies nommés Hugo Ferrandez, Grégory Elbaz, Gabriel Chemoul ou Agnès Maupré, sortis des Beaux-Arts pour la plupart. Plus un ou deux vétérans, quand même: Zyk ( Lucky Luke) , aux décors, ou le directeur d’animation Jean-Christophe Dessaint ( Bob l’Eponge, Batman, Lucky Luke).

Les voici réunis, un matin ensoleillé de juin, dans un loft en banlieue parisienne. Occupés à voler d’un trait de mine une expression de Hafsia Herzi ou de Jean-Pierre Kalfon, méconnaissable en Malka des lions, conteur vagabond qui emprunte beaucoup à Romain Gary. Ce même mois, toutes les voix seront mises en boîte en studio – sauf celle du Chat, Alain Chabat enregistrant à la fin de l’été.  » Notre métier d’acteur, c’est tout sauf un truc de doublage, où l’on vient plaquer sa voix sur un personnage sans l’habiter, explique Maurice Bénichou, qui participe pour la première fois à un dessin animé. Là, on invente. On interprète. » Pour l’instant, son intonation le tracasse:  » Je dois m’efforcer de retrouver cette pointe d’accent algérien, perdue depuis longtemps. Sans tomber dans la caricature: ce n’est pas Le Grand Pardon , ni La Vérité si je mens. » De son côté, Hafsia Herzi, magnifique héroïne de La Graine et le mulet, se réjouit d’incarner une jeune juive du début du XXe siècle.  » J’ai toujours joué des rôles de petites filles, pas du tout des séductrices. Cette fois, c’est plus sexy. Zlabya est sensuelle. Moi, j’adore prendre des poses, alors je suis contente!« , lance la jolie brune. Qu’on ne se méprenne pas:  » Il ne s’agit pas de décalquer les mouvements, mais de les réinventer au plus juste, précise Sfar. Dans mon histoire, il n’y a ni bagarre ni scène d’action. On parle d’intimité, des gestes du quotidien. C’est d’autant plus difficile à animer que je veux un vrai jeu d’acteur chez mes personnages. »

La tradition dont se réclame Autochenille, la structure de production qui chapeaute le projet, remonte aux années 1930, aux premiers Disney ( Blanche-Neige et les sept nains, en 1937), aux frères Fleischer, les inventeurs de Popeye et de Betty Boop.  » Leurs dessins animés ne s’adressaient pas qu’aux enfants, raconte Sfar. On y voyait des histoires d’amour, des voyous, des vraies bizarreries. » Et comme dans les productions Fleischer, toute l’animation sera plaquée sur la partition musicale. Le compositeur, Olivier Daviaud, est déjà au piano.

Le Chat du Rabbin (12,5 millions d’euros de budget) sortira en 2009, mais Autochenille n’a pas l’intention d’en rester là. Déjà, le trio lance la préproduction de son second film, Aya de Yopougon, que réalisera Clément Oubrerie.  » On aimerait bien apporter au cinéma d’animation ce qu’on a amené dans la bande dessinée il y a dix ans, explique Sfar. Faire des films d’auteur pour le grand public. » On s’en lèche déjà les babines.

Texte Marion Festraëts

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