Chasse et péchés

© JEAN-LUC BERTINI

Au coeur d’un récit âpre et haletant, Luc Lang écrit une histoire familiale de la violence pour dire la fin d’un monde.

L’index sur la détente, la joue sur la crosse, l’oeil dans la lunette, François scrute le cerf à seize cors dans la lumière dorée d’un jour d’octobre. Après avoir signé, 30 ans durant, d’impressionnants tableaux de chasse, l’homme hésite, ne comprend plus ce qu’il entreprend dans ce corps-à-corps absurde avec l’animal. Il songe que sa grande satisfaction en tant que chirurgien « s’alimente de la relevée des corps, qui vont sortir de son regard, se fondre dans le monde ». Que la médecine nourrit la nécessité du clan depuis trois générations. Le patriarche est fourbu. Quand la porte du relais de chasse s’ouvre sur ses enfants, il aimerait trouver un motif qui retienne son fils, une complicité, une vision du monde partagée. Jeune loup de la finance internationale, Mathieu est devenu trader à New York, ils se voient 24 heures en 18 mois… Lorsque Mathilde, amoureuse éperdue, vient chercher refuge, sa fille n’est plus qu’une bête traquée et son Jules a une balle dans la cuisse. Quant à Maria, sa compagne, elle vit désormais recluse chez les carmélites au gré d’élans mystiques contrastés. Il faudrait recoudre, retrouver le lien, panser les blessures. Avant que ne coule davantage de sang.

Chasse et péchés

Dans sa maison un grand cerf

La formule a peut-être du plomb dans l’aile, et pourtant: l’écriture de Luc Lang, c’est déjà un film. Du Cormac McCarthy sous l’oeil de Clint Eastwood, ce genre-là. Ce n’est pas un hasard si le livre s’ouvre sur une partie de chasse comme surgie de The Deer Hunter, le chef-d’oeuvre de Cimino, où Mike (Robert De Niro) baisse son arme face au cerf qui se dresse, majestueux, dans sa lunette. On se rappelle comment l’écrivain français Yannick Haenel, inspiré par la pépite du réalisateur qui signa La Porte du paradis, offrait un formidable Tiens ferme ta couronne, pétri de mystère et d’absolu. Nimbé d’intuitions mystiques, orchestrant ses situations sans jamais perdre de vue sa cible, Luc Lang se joue de la temporalité dans un drame familial éclaté façon puzzle. Son credo: la littérature pour déployer, délier du lien, fût-ce au gré d’un voyage au bout de l’enfer. François croit encore à la filiation, à la neige sous ses pas, au jazz, à la rédemption. Le retour furtif de ses enfants le réjouit autant qu’il l’accable. Que peut-il transmettre à ces jeunes adultes à l’instinct assassin: une passion, des biens, une idée, mais quoi? Auteur de onze romans, dont Mille six cents ventres, Goncourt des lycéens, Lang n’en est pas à son coup d’essai pour détour(n)er la grammaire du suspens. Au commencement du septième jour chassait déjà sur des terres aux confins du thriller. Au coeur d’un récit haletant, malin et âpre, La Tentation électrise une histoire de la violence intime et sociétale pour dire le monde qui bascule, la puissance endogène de l’argent rendu à l’état gazeux. Ses détonations résonnent longtemps.

La Tentation

De Luc Lang, éditions Stock, 360 pages.

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