Gnarls Barkley adorent fouiller dans la malle à déguisements. Ils ne sont pas les seuls: Daft Punk, Devo, The Knife aiment aussi. Culte de la personnalité ou simple pudeur?

On les a vus déguisés en légionnaires romains ou en joueurs de tennis sur certains festivals. En steward et hôtesses de l’air sur le plateau de Top of the Pops. Quand ils n’empruntent pas simplement leurs tenues au cinéma: que ce soit Orange Mécanique ou La Guerre des Etoiles comme lors des MTV Movie Awards de 2006. Cee-Lo y apparaîtra en Darth Vader, entouré de soldats de l’Empire (Chewbacca à la batterie). C’est clair: avec Gnarls Barkley, c’est carnaval tous les jours. Le seul et unique plan look foireux d’un duo pop antiglamour? Pas si vite. Car au-delà du cas Gnarls Barkley, on a toujours aimé se déguiser dans la pop ou le rock. Et on ne parle pas seulement des « uniformes » qui ont accompagné les différents genres: le perfecto rock, les crêtes punk, les casquettes hip-hop, les chemises de bucheron grunge…

UN éCRAN COULEURS

A l’origine, il y a encore et toujours David Bowie évidemment, le premier à systématiser la démarche. En 1972, il crée Ziggy Stardust et ne se promène plus qu’en hauts talons et costards futuristes. Deux ans plus tôt déjà, il s’était travesti pour la pochette de The Man Who Sold The World, et sur Hunky Dory il bégayait Ch-ch-changes. Désormais, il force encore un peu plus le look androgyne, boucles d’oreilles et maquillage outrancier. Il se fait faire des costumes par le jeune designer japonais Kansai Yamamoto, entre théâtre Kabuki et délire science-fiction. « Il faut admettre que nous ressemblons un peu à une version spatiale de West Side Story . Je ne suis pas un poste de radio, je suis un écran de télévision en couleurs », déclare Bowie à l’époque. Cerise sur le gâteau: la coupe de cheveu. Suzi Fussey, coiffeuse au salon Evelyn Paget sur Beckenham High Street, ne se contente pas de teindre la crinière de la star en orange pétant. Elle la taille également de manière inédite: long derrière, en brosse devant. Le mullet est né, une horreur capillaire que seul Bowie pourra se permettre, mais qui fera malgré tout des ravages parmi les footballeurs anglais (et allemands) de la fin des années 70.

A l’époque, Bowie est en tous cas bien décidé à imposer son nom. Et ça marche. Il change la face du rock, officialise le début de la saison glam et ouvre la porte à toutes les excentricités. Comme le chantait la Compagnie Créole, dans cet hymne échangiste de soirée aux lampions qu’est Au bal masqué, « c’est l’occasion rêvée de changer de partenaire/ Derrière mon loup, je fais ce que je veux »… On rigole, mais le déguisement dans le cas de Bowie, c’est bien cela: la transgression, valeur ô combien cruciale dans le rock’n’roll. Vendu depuis le début comme musique frondeuse et rebelle, le rock a toujours eu soif d’étrangetés, de grandes sorties de route. Bowie ouvre donc le carnaval. Même si cela deviendra vite le grand guignol, tout le monde n’ayant pas le charisme et la prestance du Thin White Duke. De Kiss à la fanfare métal-funk Chrome Hoof, en passant par Slipknot ou Marilyn Manson, grand fan du transformisme bowiesque, il conviendra de faire le tri, entre extravagances géniales et cornichonneries absolues.

Un groupe comme Devo par exemple n’a jamais lésiné sur le ridicule. Dans son cas, c’était cependant à dessein, cohérent avec son attitude dada. On peut ainsi trouver dans tous magasins de déguisement un peu rock’n’ roll la tenue phare du groupe: la protection chimique jaune, ainsi que le fameux dôme « dessiné selon les proportions des anciens ziggourats, et conçu pour récupérer et redistribuer l’énergie ». En fait, un pot de fleurs en guise de chapeau…

Mais le déguisement ne sert pas qu’à provoquer ou se faire remarquer plus ou moins gratuitement. Il peut aussi servir à se cacher. On l’avait presque oublié… A qui ressemblent par exemple Thomas Bangalter et Guy-Manuel de Homem Christo? Le duo électronique français Daft Punk a toujours avancé masqué. Explications dans les Inrocks en 2001: « Quelle est la part de calcul et celle de la pudeur? Impossible de répondre. Nous sommes prêts à donner beaucoup de choses, beaucoup de nous – mais en musique, sans nécessairement payer de notre personne. » L’an dernier, dans le Matin : « ça nous a permis de garder notre âme d’enfant. Et c’est plus apte à faire rêver les gens que nos visages. Nous avons réussi à travailler sur une sorte de culte de notre projet artistique mais en éliminant tout culte de la personnalité. » Même principe chez The Knife, la fratrie électro suédoise. Karin Dreijer Andersson et Olof Dreijer se cachent derrière des masques d’oiseaux et des tenues sombres, à l’image de leur musique, inquiétante. « C’est une manière de ne pas être reconnu, avance Olof . Mais s’habiller comme la musique est aussi une manière de diriger toute l’attention sur elle.  » Sur scène, le duo, vêtu quasi entièrement en noir, se fond dans le décor laissant la scène libre à deux poupées et des projections sur écrans géants.

Alors que tout le monde exige son quart d’heure de célébrité, certains préfèrent donc encore éviter les spots. Signe de l’époque: ils le font en se forgeant une nouvelle identité, comme on crée un pseudo sur Internet. A l’image des Daft Punk, déguisés en robots ou de… Gnarls Barkley, faux nom de scène, personnage inventé pour cacher un vrai duo. Dans le clip de Smiley Faces, issu de leur premier album, le gimmick était ainsi exploité à merveille. Remontant les coulisses de l’histoire du rock à la recherche du mystérieux Gnarls Barkley, on pouvait retrouver Cee-Lo et Danger Mouse aux côtés des Rolling Stones, des Beatles, rejouant Thriller ou accompagnant Bob Marley sur scène… L’illusion était parfaite. Et confirmait le paradoxe du cas Gnarls Barkley: tenté par la pop à grande échelle, effrayé par ses lumières.

Alors quand le duo se déguise, c’est un peu le même jeu d’équilibriste. Certes, on ne peut pas les louper quand ils arrivent en chevaliers Jedi ou en personnages du Magicien d’Oz, déboulant sur scène comme s’ils se rendaient à une quelconque soirée à thème. Mais justement. Il n’y a pas d’outrance à la Bowie dans les « transformations » de Danger Mouse et Cee-Lo. Ils portent simplement ce qu’ils ont réussi à dégoter pour la soirée déguisée du voisin ou du pote de bureau. Comme tout le monde. Retour à l’anonymat. CQFD. C’est ce qui s’appelle une jolie feinte (de corps). Ils sont décidément très forts ces Gnarls Barkley.

TEXTE LAURENT HOEBRECHTS

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