Ce n’est qu’un au revoir…

© Courtesy of the artist

Avec son nouveau disque, Matthew Herbert propose la BO du Brexit, sous la forme d’un big band mélancolique et de field recordings décalés.

C’est un album de rupture. Comme l’histoire de la musique en a connu des milliers? Pas tout à fait. Le nouvel album de Matthew Herbert est un cas unique en son genre. Aussi bien sur le fond que sur la forme. Ce n’est pas un hasard s’il paraît ce 29 mars, date initialement prévue pour une sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne. Avec The State Between Us, Herbert s’est en effet mis en tête de documenter le Brexit. Le projet a démarré il y a un peu plus de deux ans, à la suite du référendum et dans la foulée de l’activation par Theresa May de l’article 50 du traité sur l’Union européenne, ouvrant les négociations de divorce. Et malgré le report annoncé, il trouve aujourd’hui son point final.

Ce n’est pas le premier défi du genre que se lance Matthew Herbert. Musicien électronique (il a remixé aussi bien Björk que REM), il a pris le pli de greffer chacun de ses projets sur une thématique bien précise. Que ce soit Bodily Functions, basé principalement sur des sons émis par le corps, ou encore One Pig, qui suit le destin d’un cochon, de la naissance à l’assiette. À chaque fois, au-delà du gimmick, le propos vise un but bien particulier, toujours politique (dans ce dernier cas, le sort de l’animal et le respect de la vie -et donc de la mort-, dans une industrie agroalimentaire qui en fait de moins en moins de cas).

Ce n'est qu'un au revoir...

En s’attaquant au Brexit, Herbert s’attendait à ce que la tâche soit ardue. Mais absurde à ce point-là? Probablement pas… Pour illustrer son propos, l’Anglais a notamment monté un Brexit Big Band avec lequel il a tourné un peu partout en Europe, collaborant à chaque étape avec des musiciens locaux. Il n’a évidemment pas choisi la forme du big band par hasard, symbole d’une harmonie collective que l’Union a de plus en plus de mal à incarner. Dans le même temps, il a collectionné une série de fields recordings, et autres enregistrement sonores, censés dresser un portrait de l’Angleterre en 2018.

Euphorisant sur scène, le projet d’Herbert prend une toute autre tournure sur disque. The State Between Us a du mal à cacher sa mélancolie sombre. Il s’ouvre par le bruit d’un arbre centenaire abattu sur fond de chants religieux. Plus loin, sur Moonlight Serenade, la rengaine de Glenn Miller est exécutée sur fond de bombardier de la Seconde Guerre mondiale et de sons tirés du conflit en cours au Yémen. De son côté, The Special Relationship s’ouvre sur le son d’une nageuse, Emma France, traversant la Manche en solitaire, tandis que Backstop est basé sur la « promenade » de deux amis d’Herbert le long de la frontière nord-irlandaise. Expliqué comme cela, The State Between Us peut sembler aussi chaotique que saugrenu. Et de fait, il l’est. Comme son sujet. Ce qui en fait aussi un album pas toujours simple à écouter, décontenançant même si l’on n’en a pas lu le « mode d’emploi ». Et pourtant, il parvient malgré tout à toucher. À l’image de son titre de clôture, Women of England, dont la menace se transforme peu à peu en une charge héroïque. L’espoir malgré tout…

Matthew Herbert

« The State Between Us »

Distribué par Caroline/Accidental Records.

7

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content