Une vie bien ordonnée qui prend l’eau et c’est subitement l’humanité qui s’engouffre dans la brèche. Un roman affuté et acide d’un écrivain à rebrousse-poil.

De A.H. Homes, Actes Sud, 446 pages.Ne vous fiez pas au titre. Ce livre n’est pas un manuel de survie alignant les poncifs pour faire briller vos chakras. Mais si elle ne vous sauvera sans doute pas la vie, cette satire hilarante devrait au moins vous préserver de la morosité ambiante. Ce qui n’est déjà pas mal.

Richard Novak est le prototype du richard oisif et névrosé. Il conduit sa vie comme une limousine, en prenant bien soin d’éviter les nids de poule de l’existence. Reclus dans sa villa high-tech d’un quartier huppé de Los Angeles, il s’impose une ligne de vie aussi fantasque qu’un tronçon d’auto-route: il court tous les matins sur son tapis, applique à la lettre les conseils de sa diététicienne, épluche invariablement quatre quotidiens. Le reste du temps, il boursicote ou, seule entorse au protocole, mate la voisine aux longs cheveux châtains qui fait ses longueurs dans sa piscine. Une certaine idée du bonheur aseptisé. A peine entaché par un divorce, son ex-femme et son fils de 17 ans ayant pris la tangente, direction New York.

Pas de place pour l’improvisation dans cette vie au cordeau, ni pour les fracas du monde extérieur, tenus à distance grâce au casque antibruit que Richard porte à longueur de journée. Un train-train, luxueux mais sans relief, qui va dérailler brutalement le jour où Novak ressent une douleur fulgurante dans la poitrine. Rassurant quelque part, il a donc un c£ur. Mais qui semble pour l’heure montrer quelques signes de faiblesse…

Effet papillon

C’est ici que A.H. Homes, auteure américaine restée injustement dans l’ombre chez nous, fait la démonstration de ses talents d’artificier de l’American way of life. Sur le modèle du battement d’ailes de papillon, cette mésaventure va déclencher une tornade d’événements dans la vie bien rangée de ce nabab jusque-là affalé sur son petit nuage sans se soucier de ce qui se passe en bas. Il avait verrouillé portes et fenêtres de son bunker doré. Sans se douter que le grain de sable viendrait de l’intérieur.

S’ensuivent une série de rencontres et de péripéties propres à décoincer les zygomatiques les plus grippés. Petite brèche au départ (après un examen rassurant à l’hôpital, Richard reçoit son bon de sortie), toute l’humanité va finir par s’y engouffrer. Et avec elle, une bonne dose de burlesque. A l’image de ce trou dans son jardin, dans lequel est coincé un cheval, qu’il libère avec l’aide d’une star de cinéma accourue en hélicoptère… Tout se passe comme si Richard se réveillait subitement d’un long séjour dans un coma artificiel, le parfum de la vie retrouvée flottant dans les narines. Lui qui était sourd au monde se met tout à coup à l’écoute des autres. Il retourne même sa veste du bon côté, endossant l’habit de bon samaritain par-dessus son costume de coq en pâte.

Autre effet visible de cette renaissance, il s’acoquine avec une galerie de doux-dingues qui transforment son quotidien en bateau ivre: vendeur de donuts indien philosophe, femmes au foyer désespérées, ados survoltés, médecin-gourou, chihuahuas enragés. Même Bob Dylan sonne à sa porte…

Peter Sellers et Woody Allen ne sont pas loin pour le côté rocambolesque, limite psychédélique. Mais aussi Lynch pour l’habilité à fureter sous la moquette du réel. Une fameuse charge contre cette Amérique bouffie qui s’enfonce dans la mélasse de l’individualisme. Et auquel A.H. Homes oppose un humour décapant et une fantaisie jubilatoire.

Laurent Raphaël

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