Quand un prof de chant classique se penche sur les voix ébréchées du rock, on apprend que Daho est sexuel et Robert Plant, crooner! Bon à savoir à la veille de leurs concerts.

Nathalie Borgomano, c’est un peu la tornade blanche qui débarque dans votre living. Uniforme de cycliste électrique et rire large, cette Française de 47 ans est une toxico de la voix. Interprète professionnelle au répertoire éclectique – de l’opéra au celtique en passant par les vieilleries italiennes -, ce prof de chant classique est une accro de la note vocale et d’une technique qui ne doit pas grand-chose au hasard. D’emblée, elle pose la différence entre les exigences classiques et celles de la variété(sic):  » Dans le chant classique, on ne formate pas la voix mais on développe son potentiel dans la souplesse, la virtuosité et l’ambitus, c’est-à-dire la différence entre la note la plus aiguë et la plus grave. En classique, la voix doit rester homogène. En variétés ou en rock, on utilise les qualités et les défauts de la voix telle qu’elle est, la technique est moins prépondérante. » Après deux ou trois démonstrations in situ qui font vibrer le lustre, place aux travaux pratiques.

ETIENNE DAHO « L’INVITATION »

 » La couleur est chaude, presque sexuelle. C’est ce qui rend la chanson touchante. La voix est complètement trafiquée, on a coupé, ajouté des éléments. Daho chante « parlé », de façon monotone, monocorde. » La justesse?  » Les sons ne sont pas toujours très précis mais il tire parti au mieux de sa voix, il utilise des portamento: c’est-à-dire que la voix attaque par le dessous, elle glisse. C’est un style. A un moment, il le fait tellement fort que cela ne sonne pas très juste. Sa voix est comme celle de Birkin, pas très puissante, mais c’est compensé par des machines. En classique, sans amplification, je ne peux pas faire cette voix sulfureuse, détimbrée, c’est-à-dire qui chante sur le souffle. » (Daho est en concert le 22 mai au Cirque Royal)

JANIS JOPLIN  » SUMMERTIME »

 » Alors çà, c’est un monstre (fascinée), une énergie de fou, à l’état brut, qui me donne des frissons. Elle huuuuurle et elle se pète la voix. On sent que c’est la vie elle-même qui est transcendée par la voix: c’est une souffrance, une rébellion, une violence, absolument extraordinaires. On n’est plus du tout dans cette époque-là: maintenant, on chante cocoon. Elle aurait vécu, sa voix n’aurait pas tenu parce qu’elle chante complètement dans la gorge. »

THE ROLLING STONES  » HAPPY »

Keith Richards chante.  » Il fait des efforts mais cela ne passe pas et cela me fait mal… Quelle que soit la manière dont on chante, la voix a un timbre et ce timbre reste, c’est comme la couleur des yeux, on ne peut pas la changer. Et Keith, il chante aigre… Fumer donne un voile sur la voix, cela altère les poumons mais aussi les muqueuses. Les cordes vocales, ce sont deux tendons musculeux de deux centimètres de longueur en moyenne et qui, à chaque son, changent, se rétrécissent ou s’allongent. Pour fonctionner normalement, elles doivent se joindre parfaitement. Fumer, boire ou vivre abîme les parois de ces cordes: la moindre aspérité les rend moins opérationnelles. En classique, les cordes durent plus longtemps parce que le chanteur les entretient et les protège davantage. »

AMY WINEHOUSE  » REHAB »

 » C’est une black, non? C’est pas une black? J’aime beaucoup parce que j’ai l’impression qu’elle sort d’emblée d’un monde de blues. La couleur de la voix, son timbre, dépendent de la morphologie. Si je me fais opérer les pommettes, les cavités nasales, l’ouverture de la bouche, mon timbre va changer. Les blacks ont le nez épaté et les pommettes plus larges, c’est cela qui donne une couleur différente à leurs voix. Si la voix noire nous touche, c’est peut-être aussi parce qu’elle a quelque chose qui nous manque. Ce n’est donc pas le corps qui compte mais le crâne. Le chanteur classique développe néanmoins ses capacités pulmonaires et son diaphragme a un plus grand mouvement que chez les non-chanteurs… »

BJöRK`  » OLL BIRTAN »

(Elle prend le téléphone)  » Je voulais écouter le « la » pour être sûre que la note de la fin est bien un do dièse et Björk la chante comme un cri sans que cela ne se justifie. Elle fait une note tout à fait moyenne comme si elle était suraiguë, comme si elle cherchait l’exploit, je trouve cela tiré et inutile. C’est antinomique avec ce que je cherche dans la voix: donner un sentiment agréable, de confort. Ici, cela sonne fabriqué même si j’adore le concept de l’album, intégralement dédié à la voix. »

IBRAHIM FERRER « DOS ALMAS »

 » C’est un homme? Cela pourrait être une femme. On entend son âge (Ndlr, le Cubain avait 77 ans quand il a enregistré cette chanson, une année avant sa mort), c’est pour cette raison que cela pourrait être une femme: dans la vieillesse, on se ressemble. Cela touche tout de suite parce qu’on entend une histoire, un peuple, une vie, et ne pas comprendre le texte ne me manque pas. Il a une classe folle, et c’est aussi la sensualité de cette musique-là, presque sexuelle. Pas dans le sens libidineux mais d’une manière qui réveille le côté amoureux. »

ROBERT PLANT AVEC ALISON KRAUS  » POLLY COME HOME » LED ZEPPELIN « STAIRWAY TO HEAVEN »

 » Il abuse des sons graves, ce sont eux qui touchent les parties basses du corps, le bas ventre. Elle, elle est un peu comme Birkin, on dirait qu’elle lui parle à l’oreille: pas de doute, c’est bien lui le mâle (rires). » On regarde Robert Plant avec Led Zep sur YouTube:  » Là, il ne chante pas du tout de la même manière: il n’est pas forcément un grand chanteur d’un point de vue technique, mais il raconte bien son histoire, il est capable de faire des impros déjantées, costaudes, il passe de la voix timbrée à détimbrée. Il a un côté animal, sexuel, amplifié par son attitude, son buste en avant, sa poitrine exhibée… En trente-cinq ans, la voix change, maintenant, il la joue plus crooner… ». (Robert Plant & Alison Krauss sont en concert le 11/05 à Forest-National).

TEXTE PHILIPPE CORNET

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