SURGI DES ANNÉES 80 ET DU NASHVILLE POP, UN ALBUM INÉDIT DE JOHNNY CASH –OUT AMONG THE STARSDÉBOULE SUR LE MARCHÉ, PRÉSENTÉ PAR LE FILS À PAPA EN PERSONNE, JOHN CARTER CASH.

Sans vouloir jouer au notaire, cela fait quelques « fils de » que l’on voit hériter. Dans l’ordre, Ziggy Marley (cerveau embrumé par daddy Bob et la fumette), Julian Lennon (touchant, vulnérable, écrasé par pater John) et Jeff Buckley (aussi beau et doué que son géniteur Tim, aussi vite mort). Le tout, entre la fin des années 80 et le mitan des années 90. Souvenir d’artistes peu à l’aise avec leur glorieux et pesant passé familial. Dans le train vers Amsterdam où Cash junior va nous recevoir « à l’américaine »-pro et chronométré-, on se demande à quoi peut bien ressembler le fils de (l’autre) Johnny (1932-2003). Pour le physique, son format de bûcheron est visible sur Internet: plus « chubby »que papa avec torse généreux et tête de tueur sensible dans un inédit des frères Coen. Pour le reste, John Carter Cash, 44 ans, chanteur et producteur country, est là pour faire affaires, pas pour sentimentaliser. Répondant sans détours, qu’il s’agisse d’une question sur papa à la maison -« on étudiait la Bible ensemble -un de ses sujets de prédilection-, on écoutait beaucoup de gospel, du Delta Blues comme Sister Rosetta Tharpe, Mahalia Jackson », ou sur les circonstances d’exploitation d’une musique égarée, ressuscitée une trentaine d’années plus tard: « Mes parents gardaient tout, que ce soit des figurines en cire des présidents américains ou des centaines de bandes musicales. »

Walk The Line

Pour resituer les choses, le Johnny Cash des années 80 a perdu sa réputation mirifique de rebelle sixties -celui qui joue au voyou complice devant les taulards de San Quentin- et n’a pas encore été redécouvert par la génération fin de siècle. Lorsque Rick Rubin, producteur phare (Red Hot Chili Peppers, Beastie Boys), enregistre avec la vedette des disques où les originaux côtoient des reprises désossées de Depeche Mode ou Nine Inch Nails. Le Cash eighties est à la peine: ses disques ne se vendent plus, et Columbia finit par le lourder en 1986. Junior: « Il a conservé sa force de caractère, celle de continuer sa route et de faire encore l’un ou l’autre grand disque comme Water From The Wells Of Home en 1988. » Au début des ’80, Cash a replongé dans les drogues (variées). Pour couper court « à ce qui ressemble à l’enfer », il entre fin 1983 en désintox au Betty Ford Center de Californie. Le fiston: « Il en est ressorti avec une toute autre énergie, brillant, rempli d’espoir et d’objectifs, écrivant un roman, The Man in White, qui raconte la conversion de l’apôtre Paul. Alors en grande forme physique, il fait preuve d’un formidable instinct et est plus amoureux que jamais de ma mère, June Carter. C’est dans ces conditions qu’a été fait l’album qui nous concerne. »

En 2011 paraît House of Cash: The Legacy of My Father. John Carter Cash y fait état de son histoire familiale, et de ce qu’il nomme aujourd’hui « le grand trou noir que mon père semblait avoir en lui, comme la plupart des toxicomanes. Peut-être cette fêlure venait-elle de son enfance, de son frère aîné mort de façon atroce devant lui (pratiquement coupé en deux par une scie à bois, ndlr). Mais aussi de ces folles années 50 où il jouait soir après soir: le jour où quelqu’un lui a proposé une pilule d’amphétamine pour « lui donner plus d’énergie », il s’est embarqué dans une longue vie d’accro. Si je parle de cela librement, c’est aussi parce que cet enfer et les douleurs qu’ils entraînaient dans nos vies n’étaient pas sans lumière au bout du tunnel. Mon père était un pécheur mais il pensait que Dieu lui pardonnerait. » Au passage, l’image donnée dans le biopic où Joaquin Phoenix campe avec beaucoup d’inspiration l’homme en noir (Walk The Line, 2005) n’est évidemment que très partielle. « Ce n’est pas dans ce film, pour lequel j’étais producteur exécutif, que vous apprendrez des choses sur son intelligence, son humilité, sa fidélité à l’enfance et aux champs de coton. Mais vous apprendrez beaucoup sur son histoire d’amour avec ma mère, la raison pour laquelle je suis là aujourd’hui. » Junior a quelques souvenirs des sessions de 1984 -qui ont donné l’essentiel d’Out Among The Stars-, du duo avec Waylon Jennings, autre hors-la-loi country, et du paysage sonore dessiné par le producteur Bill Sherrill. Le Nashville des années 80 est à la pop-country, baptisée « countrypolitan »: Cash s’en fout et tend à juger les artistes sur pièce, allant jusqu’à défendre Billy Ray Cirus (père de Miley) contre les critiques moqueuses. C’est aussi l’époque où une nouvelle garde, rock, s’entiche de ses visions noires: Nick Cave reprend son Wanted Man en 1985 sur The Firstborn Is Dead. D’autres casheries et d’autres covers suivent. Junior: « J’espère que ce disque va contribuer à élargir la vision qu’a le public de mon père. Je continue à recevoir des courriers de gens qui me disent avoir été sauvés par sa musique. Cela compte… »

RENCONTRE Philippe Cornet, À Amsterdam

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