Le parcours des frères Dardenne, deux fois lauréats de la Palme d’or, et présents pour la cinquième fois sur la Croisette avec Le Silence de Lorna, est indissociable du Festival. Rencontre.

Pour peu, on dirait qu’ils font partie des meubles. Pensez: Le silence de Lorna est le quatrième film de Luc et Jean-Pierre Dardenne à avoir les honneurs de la compétiton cannoise. Ajoutez-y La promesse, au programme de la Quinzaine des Réalisateurs en 1996, et vous obtenez une quinte flush pas banale; relevée, encore bien, jusqu’ici de deux Palmes d’or et d’autant de prix d’interprétation. Une longue histoire, évoquée, comme de coutume, à deux voix.

– » Etre en compétition à Cannes, c’est la réalisation d’un espoir, et nous en sommes donc très heureux, commence Jean-Pierre. En même temps, il y a aussi beaucoup d’appréhensions, liées à la façon dont le film sera accueilli. S’il est mal reçu à Cannes, la vie du film sera sans doute plus compliquée. » Et puisqu’on est au lendemain du sacre du Standard, qu’ils ont salué comme il se doit, il ponctue la réflexion d’une métaphore: « Avec tous ceux qui ont fait le film, techniciens et comédiens, on attend avec une certaine tension, un peu comme une équipe au moment de monter sur le terrain ».

Votre premier film à Cannes, c’était La promesse, présenté en 1996, à la Quinzaine. Que représentait alors cette sélection?

Jean-Pierre Dardenne: On ne savait pas ce que c’était. On avait juste le sentiment que si notre film y était vu et apprécié, ce serait bien pour notre cinéma. Mais nous avons beaucoup hésité. Nous craignions, si le film était mal accueilli, que ce soit la catastrophe dont on ne se relèverait pas. Finalement, on a pris le parti d’y aller.

Rétrospectivement, quel impact cela a-t-il eu sur votre parcours?

LD: Déterminant. Je n’aime pas jouer à l’artiste maudit, et au fait de ne jamais être prophète dans son pays. Mais il faut reconnaître que quand on a montré La promesse à Cannes, ce ne sont pas les journalistes belges, qui se consacrent majoritairement à la compétition, qui sont venus nous voir et en ont parlé les premiers, c’est Libération. Le lendemain, le film a fait la première page, et après les Belges et les autres sont venus voir…

La promesse à Cannes, c’est ce qui vous a fait exister sur la planète cinéma?

JPD: Ce n’est pas nous qui l’avons dit, mais la presse. C’est la première fois qu’un de nos films est reconnu au plan international, et cela a changé notre vie de cinéastes.

Qui se poursuit avec Rosetta, Palme d’or et prix d’interprétation pour Emilie Dequenne… Quel souvenir gardez-vous de ce moment?

LD: Ce fut un grand moment de surprise. On passait le dernier jour. Nous allions repartir le dimanche, lorsqu’on nous a dit qu’il y avait un prix, on ne nous a pas parlé de deux. Comme on nous avait demandé qu’Emilie reste avec nous, nous étions très heureux lorsqu’elle a reçu le Prix. La Palme d’or, c’était vraiment une surprise. C’était extraordinaire, parce que toute l’équipe était là. On est restés jusqu’à quatre heures du matin, au champagne au début, à la bière ensuite…

Le succès rencontré à Cannes vous a-t-il aidés en termes de liberté artistique, ou auriez-vous de toute façon gardé le cap?

JPD: Que se serait-il passé si Rosetta s’était écrasé à Cannes et avait été vilipendé partout? C’est une grande question. La reconnaissance de Rosetta nous a aidés à continuer à travailler, à rester libres, en tout cas dans nos projets de cinéastes, et à être encouragés.

Y a-t-il un impact immédiat à une Palme d’or? Les attentes économiques liées aux sorties de Rosetta et ensuite L’enfant s’en sont-elles trouvées « boostées »?

LD: ça dépend des pays. Le film ayant le mieux marché aux Etats-Unis est La promesse, qui n’avait pas de prix, si ce n’est celui de la critique internationale. Le fils a mieux marché au Japon que Rosetta ou La promesse, alors que c’est peut-être le film qui a été reçu le moins bien ailleurs, et notamment en Belgique. La Palme d’or est une ouverture vers le public. Et certains distributeurs m’ont dit ensuite qu’on payait Rosetta. Beaucoup de gens sont allés le voir suite à la Palme d’or. Et se sont rendu compte, pour dire les choses simplement, que cela bougeait beaucoup. Quand nous sommes venus ensuite avec Le fils et L’enfant, leur réaction a été de se dire : « Ah non, avec une caméra qui bouge autant, on n’y retourne pas ». Le fils a un peu payé cela; pour L’enfant, ils sont revnus. Et ici, on peut leur garantir que la caméra ne bouge pas. (rires)

Une anecdote?

JPD: Le festival où je me suis vraiment amusé, c’est quand nous avons été présidents du jury de la Caméra d’or en 2006, rien à voir avec nos films en compétition. J’ai vraiment passé deux semaines formidables en voyant trois films par jour parce qu’on a eu l’occasion de découvrir de très bonnes choses. J’en ai un très beau souvenir, ainsi que des débats entre nous, et du choix opéré finalement à l’unanimité pour le film 12:08 à l’Est de Bucarest.

entretien JEAN-FRANçOIS PLUIJGERS

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