LE RÉALISATEUR LIBANAIS ZIAD DOUEIRI REJETTE LE MANICHÉISME DANS SON PASSIONNANT ET BOULEVERSANT THE ATTACK.

On chercherait en vain, dans The Attack (lire la critique page 30), le manichéisme réducteur ou alors au contraire l’angélisme bienveillant qui marquent tant de films abordant la question douloureuse et complexe du conflit israélo-palestinien. Adaptant remarquablement le roman L’attentat de Yasmina Khadra, Ziad Doueiri nous y cheville au parcours et aux interrogations d’un chirurgien arabo-israélien, qui soigne les victimes d’un attentat suicide commis à Tel-Aviv avant de devoir faire face aux soupçons qui désignent son épouse comme coupable des faits… D’origine libanaise, le cinéaste s’était révélé voici une petite quinzaine d’années avec le percutant West Beirut. Celui qui fut l’assistant de Tarantino sur plusieurs films signe aujourd’hui son oeuvre la plus forte, tout en affrontant de nombreux censeurs… jusque dans son pays natal.

Vous avez clairement, avec The Attack, fait le choix de l’inconfort. Tant d’autres réalisateurs abordant le sujet restent loin de pareille audace…

A la base, il ne faut pas aller chercher midi à quatorze heures! Il y avait un roman, fantastique, magnifique. Quand une grande compagnie américaine (Focus Features) m’a proposé de l’adapter, je ne l’avais pas encore lu. J’ai demandé aux Américains quel était le sujet, ils m’ont dit: le problème du Moyen-Orient. Je n’en voulais pas. Moi, je vivais à Beyrouth, et j’en avais marre de la cause palestinienne et du conflit israélo-palestinien. Pas parce que c’est un conflit qui me fait chier, pas parce que c’est une cause injustifiée. Mais j’en avais marre! Depuis le biberon, c’est tout ce dont on m’a nourri. J’avais besoin de m’éloigner un peu… Ils m’ont tout de même envoyé le livre, et j’ai été bouleversé. Il y avait là, quand même, une histoire fantastique à raconter. Avec une dimension de polar, et une profondeur humaine, une recherche de vérité. Cela m’a apaisé, mes réticences ont disparu, je n’ai pas eu l’impression de faire encore un film de plus sur la cause palestinienne. Vous savez, il est très noir, Khadra, sa vision du monde est très pessimiste. Mais il cache un humanisme incroyable, on s’attache à ses personnages. Ce n’est pas un écrivain intellectuel, il te parle avec ses tripes.

Etiez-vous surpris que des producteurs américains soient à l’origine du projet?

Américains… et juifs (de gauche)! Quand je les ai rencontrés, je leur ai posé la question: pourquoi vous lancez-vous dans un film sans acteur américain, parlé en arabe et en hébreu, et abordant un sujet aussi controversé, aussi chaud que celui-là? James Schamus m’a dit que le sujet l’intéressait profondément, sachant très bien à quel point ce serait « touchy » car, aux Etats-Unis, derrière le sujet du Proche-Orient se profile toujours celui de l’Holocauste… J’ai signé le contrat, et je suis rentré au Liban pour commencer à écrire le scénario avec ma femme Joëlle Touma. On était en 2006… et très conscients du caractère inconfortable du récit. Car l’Israélien n’y est pas plus un démon absolu que le Palestinien n’y est une victime absolue. Ça, on l’a vu 150 fois. Et tout le monde est d’accord pour dire qu’il y a un occupant et un occupé, même le plus sioniste des sionistes le reconnaît en lui-même… Alors répéter la même histoire, montrer l’Israélien comme le méchant n’aurait pas été intéressant dramatiquement. Mais montrer le point de vue des deux côtés, ça devenait intéressant. Je ne mets pas tout le monde sur le même plan, je ne marche pas en équilibre sur une ligne tracée au milieu. Mais je montre que chacun, quelles que soient les conneries qu’il ait faites, a le droit à un point de vue. Quand j’ai quitté Beyrouth, en 1982, alors que les troupes d’Ariel Sharon venaient occuper la ville, je pensais qu’un Israélien ne pouvait pas avoir de point de vue. Un Juif, même, car c’est des Juifs qu’on me parlait depuis mon plus jeune âge comme de gens qui étaient mauvais, des cons et des envahisseurs, et qui devaient être rejetés, massacrés. J’avais grandi dans la peur et la haine de l’Israélien. Aujourd’hui, j’ai un autre discours. J’ai cessé de diaboliser le Juif… Je sais que les Israéliens ont aussi peur que les Palestiniens, et que cette peur réciproque explique bien des choses.

Sur place, au tournage, ces idées se sont-elles précisées?

En Israël, j’ai découvert un peuple certes sur-militarisé, mais qui vit dans la crainte. Ils sont racistes? Oui, mais les Arabes le sont aussi. Ils sont stupides? Les Arabes le sont aussi… Chacun a ses raisons, en fait. Et c’est quand tu opposes deux antagonistes qui ont raison que tu es dans la tragédie, ce qu’est ce conflit. Une tragédie ne se joue pas entre le bien et le mal. Je voulais, moi, montrer le bien confronté au bien.

Le film est très physique, on échange des idées mais les corps expriment beaucoup de choses…

Je travaille de manière instinctive. Je n’analyse pas, je regarde ce qui est et je le filme. Une décision esthétique, je la prends sans savoir pourquoi, c’est mon subconscient qui la dicte. Le film est sorti de moi-même, comme ça! L’acteur principal, Ali Suliman, est un type qui ne sait pas très bien lire, suite à une dyslexie. Il a tout un processus qu’il suit pour pouvoir retenir les textes… C’est tout sauf un intellectuel, il ne comprend pas tout ce qu’il joue. Il n’a que l’instinct. Mais c’est un pur! Il vit les choses, dans le présent absolu du cinéma!

Les réactions au film du côté arabe annoncent une controverse. Le Liban l’a déjà carrément interdit!

La décision libanaise de bannir totalement et définitivement le film (après l’avoir initialement autorisé) est quelque chose qui me blesse énormément, et je vais me battre! Ils me menacent de prison, de trois ans de travaux forcés précisément, parce que la loi libanaise interdit tout contact, même culturel, avec un Israélien, ou plutôt un représentant de l’entité sioniste, comme ils disent…

RENCONTRE LOUIS DANVERS

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