Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Route 2066 – Sur Magic Hour Sailor Songs, C.R. Avery, ce Canadien talentueux présenté comme le « nouveau Beck », est plus proche de la poésie beatnick et du blues fracturé de Tom Waits.

« Magic Hour Sailor Songs »

Distribué par Bang!Au premier morceau, The Boxer Who Just Returned FromLondon, apparaît ce truc récurrent sur la voix qui agit comme un dérapage contrôlé: inopinément, un bout de mot dévisse à la manière d’un brusque scratch de platine. Les syllabes se dérobent pendant un quart de seconde et le débit repart, sans considération pour l’incident rythmique. Dit comme cela, cela pue le gadget à plein nez mais dans la pratique de ces chansons déconstruites, cela fonctionne merveilleusement, à la manière d’une charge de 220 volts poussant la machine galopante d’un album décidément roots et gonflé.

Né en 1976 dans l’Ontario, Avery s’est fait une réputation via des groupes inconnus par ici -Tons Of Fun University, The Fugitives – et puis en solo avec un style de human beatbox plié dans un large tissu musical. Il en est déjà à son sixième solo et on n’avait même pas idée qu’il existait, quel malheur! Que ce soit via les cordes dissonantes de Birdcage ou l’intro country de sa merveilleuse version d’ Amazing Grace, Avery maintient deux constantes: raconter des histoires fortes et courtiser le blues. Ce style-là est la matrice dans laquelle il se vautre, le ton naturel de sa harangue, le compagnon nègre qui cadre sa poésie. Les mots qu’il dit le sont d’une voix blanche, rauque seulement quand il le faut, peut-être rincée au Bourbon, sans aucun doute tannée par des années sur le circuit de la poésie braillée dans des bars enfumés, avec ou sans amplification.

Découverte majeure

C.R. évoque autant Jack Kerouac que Tom Waits (qui ne cesse de chanter ses louanges), traquant une certaine idée de l’Amérique hobo dépenaillée, collection infinie de déplacés sociaux et sentimentaux d’un continent en crise perpétuelle. Et ce, même s’il cite autant Hunter S. Thompson que Nelson Mandela, dans le même titre d’ailleurs ( Birdcage). Le débit passe du slam pur à la récitation graveleuse, caresse la tête du talk over et revient triomphalement en chantant. Chansons, humeurs, tempi sont caméléons mais restent identifiables comme étant du C.R. Avery. Qui dit mieux? C’est très beau de l’entendre quasi-pop ( Silvee), cela l’est encore davantage dans le dénuement absolu des mots qu’il fait progressivement monter en sauce dans St-Marie, le moment-phare du disque. Il y a aussi cet harmonica brûlant les pistes du blues et le souffle qui va avec, la dignité des mélodies, la couleur des mots. Juste en-dessous de la catégorie « chef-d’£uvre », il y a celle de « découverte majeure »: cochons celle-là. On l’a compris juste en voyant le dernier morceau où, dès le titre, Avery nous dit deux ou trois choses sur les références qui blindent son univers: The Ballad of Charlie Parker and Patsy Cline. Du beau linge mort, mais du beau linge quand même.

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Philippe Cornet

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