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© Claudette Barius/HBO

Succession (saison 4) ****

La troisième saison nous avait laissés pantelants. Son épisode final avait succombé au délice d’un rebondissement aussi brutal qu’ultime: l’alliance contre-nature des rejetons de Logan Roy (Brian Cox), Kendall (Jeremy Strong), Roman (Kieran Culkin) et Shiv (Sarah Snook), pour contrer le rachat de Waystar par le beau Lukas Matsson (Alexander Skarsgård), avait été sabordée par le gendre Tom (Matthew Macfadyen), dans un geste qui tenait autant de la trahison calculée que de la revanche. Abrupte, cette fin, aussi raffinée que son cadre était enchanteur, semblait sceller le sort d’une quatrième saison annoncée comme la dernière de la série créée par Jesse Armstrong. Elle reprend les hostilités au sein de la famille Roy, grands enfants déglingués par un père castrateur, sans oublier le cousin Greg parmi la clique satellite, qui se disputent l’héritage ou cherchent leur place dans un empire médiatique et un système familial d’une absolue toxicité.

Un instant sonnés par ce coup de Jarnac, ils se relancent ensemble dans une bataille contre le père, qui entend pour de bon dévorer cette engeance (ces “pygmées”, comme il les appelle), plus près que jamais du Saturne de la mythologie. La vente du conglomérat Waystar Royco au tech guru Matsson, agaçant de beauté et d’à propos, qui renvoie aux enfants Roy tout ce qu’ils ne seront jamais pour le père, semble se concrétiser et met à nu leurs angoisses existentielles. Que vont-ils devenir, ces pauvres riches? Ça ne ricane plus des masses dans les rangs à mesure que l’héritage émotionnel autant que financier, politique autant que culturel, semble vaciller pour de bon. Le shift dans la tectonique des plaques n’épargne pas pour autant le vieux grigou Logan, et ses intentions vont devoir faire place à un immense chaos. Et pourtant, au milieu, la vie continue, avec son cortège de loyautés trahies, d’amourettes et d’arrangements conjugaux, de santé mentale fragile et de luttes d’ego. Un voyage en Norvège, terre ennemie pour les Roy mais natale pour Matsson, procure plus que de jolies images à la série et moins qu’une délivrance pour des personnages d’une intensité rarement vue à la télévision.

Depuis ses débuts il y a cinq ans sur HBO, Succession, comédie satirique qui déchire le modèle filial, tragédie shakespearienne familiale et corporate au business modèle formidablement délétère, a bonifié comme un grand cru classé et imposé sa griffe scélérate et bâtarde. Son écriture acérée et ses personnages outranciers mais étonnamment stratifiés l’ont hissée parmi les meilleures séries de ce début de XXIe siècle. Jeremy Strong, Sarah Snook et Kieran Culkin, singulièrement, se taillent une part de lion dans un jeu de dupes qui révèle autant leur charisme et leur talent, que l’angoisse abyssale de leurs alter ego.

Série créée par Jessie Armstrong. Avec Brian Cox, Sarah Snook, Jeremy Strong.

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