Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

AU MILIEU SINISTRÉ DES ANNÉES 70, LE BORN TO RUN DE SPRINGSTEEN TONNERRE L’IDÉE IMPÉRIALE DE ROCK’N’ROLL. UN DISQUE « COMPAGNON » À LA BIOGRAPHIE NOUVELLE DE BRUCE, PAREILLEMENT TITRÉE, REPREND CE TITRE ET DIX-SEPT AUTRES, DONT CINQ INÉDITS DE JEUNESSE.

Quand parait Born to Run le 25 août 1975, le rock est dans la merde: le psyché-blues sixties est obsolète, le progrock obscène et, hormis Bowie et Roxy, le glam nettement comateux. Le punk? Il attend encore le train alors que quelques agités du binaire anglais à la Doctor Feelgood n’empêchent pas la vieille Europe de connaître son premier schisme culturel. Vingt ans après le pelvis Elvis, voilà Springsteen en Vatican II, chargé de refondre d’anciens principes en nouvelle humanité généreuse et sociale. Born to Run est le troisième album de l’Irlando-Italien du New Jersey après deux LP parus en 1973, snobés par le succès. Springsteen n’est pas plus le nouveau Dylanplébiscité par son label Columbia qu’un folkeux barbu qui n’a pas trouvé le son adéquat. Il faut qu’un journaliste devenu son manager, Jon Landau, extraie alors de Springsteen « le futur du rock’n’roll »via une relecture spectorienne des années 60 par l’Amérique urbaine de la décennie suivante. Born to Run, titre repris sur cette compilation en huitième place, est un chef d’oeuvre, avec son mur de guitares extatiques et le sax de Clarence Clemons pareillement raccordé au point G. Mais avant la pièce maîtresse, il y a près d’une décennie laborieuse.

Ralentis sensuels

Histoire de la représenter, la compilation puise cinq inédits qui montrent surtout que Springsteen décalque d’abord son époque, sans génie. Les deux titres de 1966-1967 avec The Castiles sonnent garage alors que He’s Guilty -avec Steel Mill en 1970- baigne dans une omelette psychédélique d’Hammond baveux et d’énervement funky. On sent que Bruce essaie fort (Ballad of Jesse James) avant de trouver la bonne distance du micro comme de son sujet (Henry Boy). Reste à écrire des chansons qui font oublier l’apprentissage, chose faite en 1973 avec 4th of July, Asbury Park (Sandy), l’une de ses plus belles, où sur des ralentis sensuels, Bruce brode le désir amoureux: « Sandy, the fireworks are hailin’ over Little Eden tonight/Forcin’ a light into all those stony faces left stranded on this warm July ». Comme si Cormack McCarthy sublimait le New Jersey en regardant la diffusion de Taxi Driver, sans la haine. Mais avec le rapport difficile au père (My Father’s House) et ce sens de la mise en scène sonore cinématographique qui préside aux chansons carillonnantes (Badlands, The Rising) comme aux moments plus mélancoliques (The River). Si cette compilation est sans surprise, incluant Born in the USA mais pas Jungleland, le parcours qu’elle offre de 1966 à 2012 (Wrecking Ball), demeure un exceptionnel moment de songwriting américain. Le chausse-pied naturel à la lecture de la bio.

« CHAPTER AND VERSE » DISTRIBUÉ PAR SONY MUSIC

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PHILIPPE CORNET

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