Tricky sort Knowle West Boy, un 8e album enregistré entre amis, et brise son image de teigneux.

A côté de la plaque, on l’imaginait expéditif, dur, terne. Un rien autiste. Adrian Thaws, alias Tricky, est tout le contraire. Accueillant, souriant, bavard… Un joint au bec, le gars de Bristol se raconte. Sans fausse pudeur.

Focus: à quoi ressemble Knowle West, le quartier où vous avez grandi et qui a donné son titre à votre nouvel album?

Tricky: à un ghetto de blancs. On y trouve des familles entières. Des grands-parents aux petits enfants. Quand j’étais gamin, je pouvais aller jouer avec mes amis dans la rue très tard le soir sans avoir peur de me faire kidnapper. Et ce grâce au sens de la communauté. Tout le monde se connaissait. Si quelqu’un avait osé nous faire du mal, la communauté s’en serait chargée. Elle n’aurait pas appelé la police. Elle l’aurait liquidé vite fait bien fait. Je ne me souviens même pas avoir entendu parler d’un viol.

La violence par contre…

C’est dû au manque d’éducation. Quand tu ne sais pas t’exprimer avec des mots, quand tu arrives à court d’arguments, tu en viens aux mains. Tu l’apprends dès que t’es gamin. Dès le racket dans les écoles. La violence peut te procurer ce que tu veux. A fortiori dans une communauté où tu éprouves énormément de difficultés à trouver du boulot. Les profs nous disaient que la simple mention de notre quartier dans un entretien d’embauche suffirait à nous décrédibiliser. Beaucoup de mes potes n’ont jamais dégoté d’emploi. Leur violence est professionnelle. La musique m’a détourné des mauvais plans. Vers 8 ou 9 ans, mes amis ont commencé à boxer. Moi, j’écrivais des chansons à la maison. Quand on sortait en boîte, ados, ils tabassaient des mecs. J’en aurais été incapable.

L’image qu’on a de vous ne correspond pas à la réalité. Une explication?

Beaucoup de gens pensent que tu es ce que tu chantes ou composes. Ils n’arrivent pas à dissocier l’artiste de son £uvre. Ma musique est sombre mais je n’erre pas déprimé à longueur de journée. Je suis plutôt du genre blagueur et maladroit. Mes potes se moquent de moi quand je suis bourré. Les trois quarts du temps, je me comporte comme un imbécile. Je taquine tout le monde. J’ai souvent lu que j’étais un dur. Cela fait poiler mes amis. Ils se roulent par terre.

Ce qui est sûr, c’est que vous fumez énormément. Est-ce à l’herbe que vous devez votre voix si rugueuse et particulière?

Non, c’est à un accident. Je devais avoir 15 ou 16 ans. J’étais amoureux d’une fille. J’ai demandé à un pote d’aller la chercher. De prétendre que je voulais me suicider et que j’avais avalé des comprimés. Sa s£ur est arrivée. Elle a mis ses doigts si loin dans ma bouche qu’elle a endommagé mes cordes vocales.

Pourquoi dénombre-t-on toujours autant d’invités sur vos disques?

Je ne suis pas un chanteur. Je ne peux pas m’exprimer comme je le voudrais. Quand j’écris une mélodie, des paroles, je les entends. La plupart sont par ailleurs écrites d’un point de vue féminin. Je ne sais pas pourquoi, mais j’écris davantage comme une femme que comme un homme. Je suis schizophrène. Du temps de Blowback, tout le monde avait demandé de travailler avec moi. Même les Red Hot, c’était leur idée… Cette fois, j’ai bossé avec mes proches. Ceux qui traînaient dans les parages. C’était un peu du genre: tu ne fais rien demain? Bien, viens chanter sur mon album.

Vous aviez déjà convié Alanis Morissette sur un de vos disques. Cette fois, vous reprenez Slow de Kylie Minogue…

J’adore cette chanson. C’est un de ses meilleurs morceaux. Une mélodie tellement sexy. J’étais en boîte quand je l’ai entendue pour la première fois. J’ai demandé au DJ qui chantait. Je n’avais pas reconnu Kylie. Cette fille est géniale. Tout le contraire de Madonna. Pas de gardes du corps. Elle passe inaperçue. Je n’aime pas toute sa discographie mais elle est capable d’écrire de terribles pop songs.

Vous regrettez, avec le temps, d’avoir joué dans Le Cinquième Elément?

Gary Oldman était la seule raison de ma présence chez Besson. Je détestais mon personnage, les costumes. Le film était merdique. Mais je voulais juste pouvoir dire: j’ai tourné avec Gary Oldman. Il est le meilleur acteur du monde à mes yeux. J’ai suivi sa carrière depuis le début. J’ai grandi en regardant ses films. Même si Le Cinquième Elément est pourri, je me suis retrouvé face à lui devant une caméra. On ne pourra jamais me le retirer. Tous les musiciens que je respecte, comme Hendrix, sont morts. Ok, il y a bien Tool, Public Enemy, Rakhim mais la plupart de mes héros ont passé l’arme à gauche. Gary Oldman est l’un des seuls, avec Harvey Keitel, dont je rêvais de croiser la route. De Niro est un super acteur mais il n’a pas autant de sens pour moi. Pendant le tournage, Gary m’a invité à prendre le thé. Il m’a parlé de ses disques de hip-hop préférés. C’est un mec génial. Je lui ai dit: vas-y, fais Dracula. Il a rejoué des personnages. Rien que pour moi. J’étais comme un gosse.

http://www.trickyonline.com

ENTRETIEN JULIEN BROQUET

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