Booty call

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Du jazz au disco, du gospel au rock, le sexe n’a cessé d’irriguer la musique populaire américaine. La preuve avec le passionnant essai d’Ann Powers.

Sans doute encore plus que les autres nations, les États-Unis aiment se raconter des histoires. Surtout la leur. Pour disséquer sa psyché, comprendre son fonctionnement, il suffit ainsi de se pencher sur son art, ses films, ses musiques. Tout y est. C’est ce qu’a fait la journaliste Ann Powers avec son Good Booty, brillant essai sorti en 2017, et traduit aujourd’hui en français. Son sujet: l’Amérique, vue de face et de fesse. Ou comment le sexe a irrigué la musique populaire américaine, l’a influencée, façonnée, et… inversement. Dans l’introduction de son livre sous-titré Corps et âmes, Noirs et Blancs, amour et sexe dans la musique américaine, l’autrice développe ainsi son postulat de base:  » La vraie raison pour laquelle la musique populaire américaine nous parle majoritairement de sexe est qu’en tant que nation nous ne reconnaissons pleinement et ouvertement le pouvoir de la sexualité qu’à travers la musique. » Cachez ce sexe que je ne saurais voir, la musique se chargera bien assez de le suggérer…

Booty call

La tâche de Good Booty -raconter une autre Histoire de la musique populaire américaine via le corps, la danse et le prisme de la sexualité- n’est pas seulement colossale. Elle est aussi particulièrement casse-gueule: comment éviter de nourrir les clichés, particulièrement abondants en la matière (à commencer par ceux qui ont trait au package sex, drugs and rock’n’roll, etc.)? C’est précisément le tour de force d’Ann Powers que de ne jamais transformer ses parti pris -inévitables- en raccourcis.

L’histoire démarre ainsi du côté de La Nouvelle-Orléans et de Congo square, avec la création d’une première musique métisse, le jazz. Une naissance douloureuse, nourrie évidemment par la tragédie de l’esclavage, qu’Ann Powers détaille de manière fouillée et nuancée, et en n’évitant jamais la question de l’appropriation culturelle. Passionnant, le récit dérive vers le blues, Tin Pan Alley, et la prolifération des danses -du hootchie-cootchie aux relents SM de la danse apache « importée » de Pigalle. Plus attendue est la manière dont l’arrivée du rock va embrasser les agitations de la jeunesse et, par la suite, la révolution sexuelle. En prenant comme points d’ancrage, les figures de Janis Joplin, Jimi Hendrix et Jim Morrison, Good Booty avance a fortiori en terrain connu. Malgré cela, Ann Powers réussit à recadrer le récit « officiel », la plupart du temps écrit par des plumes masculines. Citant ainsi les écrits féministes d’Ellen Willis, elle rappelle que  » dominée par les hommes, la contre-culture définissait, pour les femmes, la liberté en termes presque exclusivement sexuels« .

Du sexe froid du punk au sexe triste du grunge, de Prince à Madonna, des rigueurs de la scène hardcore au triomphe des rappeurs, Good Booty remonte ainsi le fil musical jusqu’à aujourd’hui, concluant avec le triomphe de Beyoncé. Un personnage permettant de boucler idéalement la boucle, figure pop à la fois spectaculaire et éminemment complexe, pour un livre qui ne l’est pas moins.

Good Booty

d’Ann Powers, éditions Le Castor Astral, traduit de l’anglais (États-Unis) par Rémi Boiteux, 416 pages.

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