Black swan

Charlotte Bourlard: "La littérature devient intéressante à partir du moment où elle bouscule, dérange, où on se pose des questions." © DR

Par la grâce macabre d’un « conte de fées qui tourne mal« , la Liégeoise Charlotte Bourlard signe une incursion remarquée sur les terres du roman noir. À suivre!

Parmi les livres marquants de ce début d’année, L’Apparence du vivant tire son épingle du jeu. À deux pas du canal Albert, une photographe emménage chez un couple de vieillards ayant fait fortune dans les pompes funèbres. Au coeur du funérarium, entre la jeune femme et la grand-mère aux os  » pointus comme des menaces« , collectionneuse d’animaux naturalisés, ce sera à la vie, à la mort… Infiltrant la littérature de genre par l’entremise du roman noir qu’elle connaît peu, la Liégeoise Charlotte Bourlard s’autorise toutes les audaces de l’affranchie. Maîtrise du rythme (concision chirurgicale, musicalité, alternance des tons) et habileté dans le maniement de l’effroi habillent d’une grâce macabre son précis de taxidermie.

Passée par la section écritures de l’Insas, l’autrice de 37 ans exerce sa plume depuis une dizaine d’années. Fan inconditionnelle de Bret Easton Ellis, il lui fallut d’abord se départir de ses influences:  » Pour mon premier manuscrit, j’avais pratiquement Les Lois de l’attraction posé sur les genoux, essayant de comprendre l’efficacité de son style percutant… » Encouragée par le regard bienveillant de son éditeur chez Inculte, la jeune femme a décroché de son job de serveuse et s’est plongée à corps perdu dans l’écriture de ce  » conte de fées qui tourne mal » . Accostant sur les terres d’un gothique moderne proche de Bruce Bégout ( Le ParK, On ne dormira jamais), la réussite de ce premier roman marque les esprits par la justesse de ses effets.  » La précision est une question de volonté. » Pour lecteurs avertis, une découverte aussi jolie que monstrueuse.

Qu’est-ce qui vous a attirée sur les terres du roman noir?

À la base, c’est une commande… Mon éditeur, Alexandre Civico, a vu chez moi quelque chose dont je n’avais pas conscience. Trouvant qu’il manquait quelque chose au roman que je lui avais envoyé, il m’a demandé d’écrire un roman noir. Toute seule, je n’aurais pas imaginé aller vers ce genre. N’en ayant pratiquement jamais lu, je ne savais pas trop ce que l’appellation recouvrait. Je me suis beaucoup amusée à écrire ce roman et je pense que c’est un genre que j’ai envie de continuer à explorer, mais à ma façon, sans avoir de modèle.

On vous découvre. Vous écrivez depuis longtemps?

Quand Inculte m’a contactée, j’avais envie de me remettre à écrire et j’avais quelques notes. Le timing était parfait. J’ai commencé le confinement deux mois avant tout le monde et, durant un an, j’ai réussi à m’arranger pour ne faire plus que ça. J’ai arrêté de travailler et tout le monde s’est mis à mon rythme. J’ai vu ce défi comme l’opportunité d’une vie. J’en avais marre d’être serveuse: je sentais la quarantaine approcher, je voulais réaliser mon rêve. J’avais écrit un premier roman, refusé partout mais avec pas mal de critiques encourageantes, trop inspiré par Les Lois de l’attraction et Moins que zéro, les deux premiers Bret Easton Ellis… C’est la première fois que je pouvais écrire une page et l’envoyer à quelqu’un pour un retour immédiat, enthousiaste. Le fait d’avoir un éditeur me donnait davantage de légitimité à mes propres yeux: ça m’a portée et rassurée.

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Situer l’action à Liège, une évidence?

Liège est une ville haute en couleur. Les deux romans que j’ai écrits précédemment s’y déroulent également. Plusieurs fois par semaine, je vais courir le long du canal Albert et j’avais l’impression que le décor se prêtait parfaitement à l’histoire que j’avais envie d’écrire: très romanesque, avec le cimetière des bateaux, les cygnes… Ensuite, évidemment, j’ai ajouté des éléments qui m’arrangeaient: une centrale nucléaire, des drapeaux du Standard, des vendeurs de pékèts. Je suis attirée par la marginalité, j’aime les histoires un peu glauques, un peu malsaines. J’adore American Psycho, que je trouve merveilleux. Je suis une grande fan de Donald Ray Pollock et Hubert Selby Jr.

Outre la relation filiale entre les personnages féminins, vous avez souhaité faire du funérarium un personnage à part entière?

Au départ, ça m’a effrayée, je craignais que ce soit too much… Puis je me suis laissé happer par une ambiance, presque enfantine, de maison hantée, avec des fantômes dans les couloirs… J’ai retrouvé l’univers qui m’effrayait quand j’étais petite. Le fait que ça se passe en huis clos, dans un décor figé où les héroïnes sont complètement coupées de toute modernité, ça correspond à mon rapport à ce monde de l’hyper communication que je déteste, où tout le monde est en train de communiquer, mais où plus personne ne s’écoute. Je ne suis pas sur les réseaux sociaux, ça me déprime terriblement. J’ai la nostalgie d’une époque où on était un peu moins devant les écrans, où on lisait plus de bouquins. Je crois qu’on est en train de perdre complètement l’idée de l’intimité, qui est de l’ordre du fondamental, du très précieux. Ce décor correspond à mes fantasmes, entouré de chandeliers, de tableaux anciens, d’une bibliothèque de livres usés.

Sans divulgacher, quelques scènes peuvent secouer le lecteur… Vous aimez jouer avec les tabous?

La littérature devient intéressante à partir du moment où elle bouscule, dérange, où on se pose des questions. Forcément, tout ce qui est tabou est intéressant. Tout ce que j’écris est toujours un peu glauque, c’est la littérature que j’adore. Je ne suis pas du tout intéressée par ce qui est  » feel good« . J’aime la littérature rugueuse, qui m’en fout plein la figure. La société est choquante à maints égards: je suis choquée tout le temps par les pubs que j’entends. Les sujets tabous? Oui, tant qu’à faire! (sourire)

L’Apparence du vivant, de Charlotte Bourlard, éditions Inculte, 132 pages.

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