ET SI LE CINÉMA AFRICAIN OSAIT LE CINÉMA DE GENRE? ENTRE THRILLER ET PLONGÉE DANS LA RÉALITÉ URBAINE DE KINSHASA, DJO TUNDA WA MUNGA MONTRE LA VOIE DANS L’EXCITANT VIVA RIVA!

Un accueil enthousiaste au Festival de Berlin, une pluie de récompenses (6, dont meilleur film) aux African Movie Awards, et une critique très favorable jusqu’aux Etats-Unis. Viva Riva! est bien l’événement cinématographique africain de l’année ( voir critique page 31). Ce premier film d’un réalisateur passé par une école belge, et ayant fait ses premières armes dans le journalisme et la production de documentaires au Congo, ose jouer la carte du cinéma de genre (le thriller, en l’espèce) tout en y reflétant la réalité sociale et humaine de Kinshasa. Djo Tunda Wa Munga y réussit un pari qui pourrait s’avérer important dans un contexte africain où les rares films produits n’essaient pas vraiment de conjuguer ambition artistique et goûts populaires.

Viva Riva! s’inscrit-il volontairement dans cette tradition du film « noir » américain alliant spectacle et témoignage social?

J’ai voulu capter, faire ressentir, ce qu’est la ville de Kinshasa, avant qu’elle ne change, dans cette évolution qui mène du Zaïre d’hier au Congo d’aujourd’hui. Et en même temps faire un film où on se sente bien, un film à l’énergie communicative, que le public africain puisse prendre plaisir à regarder. La voie du polar permet de poser facilement les choses. Les codes du genre sont clairs, connus des gens. Ils permettent aux spectateurs d’être pris par l’action… et au réalisateur de distiller plein de choses plus complexes (sur la trahison, la corruption, par exemple). Mon film est un divertissement, où l’on peut rire et vibrer, mais qui donne aussi matière à réfléchir.

La plupart des films tournés en Afrique sub-saharienne peuvent espérer une sélection en festival, une distribution internationale pour certains. Mais le public local ne les voit généralement pas…

C’est pourtant tellement important de s’adresser aux gens qui vivent là où vous filmez! Pour y parvenir, comment ignorer le facteur plaisir, ce qui peut relever du cinéma populaire dans le meilleur sens? Mon but était d’abord de toucher les gens de mon pays. Mais l’adhésion au film s’étend déjà aux diasporas, et au reste de l’Afrique. Que les principaux Awards africains, distribués au Nigeria, pays anglophone, aillent à un film francophone est significatif. Il y a eu une sorte d’appropriation, comme celle qu’a connue l’équipe du Ghana à la dernière coupe du monde de football. C’était la seule équipe africaine qui soit allée loin dans la compétition, et partout les gens devenaient ses supporters. Il y a un élément de fierté qui dépasse les frontières, et les clivages sociaux. Des intellectuels d’un peu partout en Afrique soutiennent le film, écrivent des articles de fond. Comme quoi, le cinéma de genre peut parler de la réalité d’une manière dépassant sa vocation de divertissement…

La réalité congolaise est donc une source directe pour votre film. Un fruit de votre expérience dans le documentaire?

Oui, c’est une formidable école! La crise du carburant a bel et bien eu lieu, en 2000-2001. Et ce fut bien plus sauvage encore que ce que je montre dans mon film. Les trafiquants existent, le racisme entre Africains (entre Angolais et Congolais dans le film) aussi. L’Afrique est très raciste. Même au Congo, où les citoyens d’ethnie pygmée sont considérés comme une race à part, et sont maltraités. La grande Afrique solidaire, ce n’est qu’une image pour le monde extérieur…

Ce que décrit le film pourrait conduire à un constat désespérant. Pourtant, il s’en dégage une prodigieuse énergie vitale…

Les trafiquants dont parle mon film illustrent bien cela. Ils triment à la frontière angolaise pour se faire du cash, puis ils viennent tout claquer à Kinshasa, ils font la fête jusqu’au dernier franc… et alors ils retournent en enfer. Ça, c’est terriblement kinois. Il y a la misère, la marge, la débrouille, mais pas de désespoir, car il ne faut pas forcément grand-chose pour faire la fête, vivre intensément, oublier les problèmes, quitte à les retrouver le lendemain…

Viva Riva! évoque avec une grande franchise, une véritable audace même, la question de la corruption des forces de l’ordre, celle aussi d’une sexualité qu’aucun film africain n’avait auparavant abordée si frontalement.

Là aussi, c’est la réalité qui s’impose. La puanteur de Kinshasa, la corruption, les arrestations, la vie qui a moins de valeur que l’argent… Mais aussi cette folle énergie qui s’incarne beaucoup dans la sexualité. Je voulais montrer ça dans toute sa force. Je ne craignais pas la censure. Il n’y pas de censure, puisqu’il n’y a pas de système organisé. J’espère que cet espace de liberté durera, même si les choses s’organisent. Bien sûr quelques pontes du cinéma africain m’ont critiqué. Je leur ai demandé de quel droit, du haut de quelles réussites, ils s’estimaient en droit d’établir des limites, d’énoncer les règles que devrait respecter tout film africain!

Pensez-vous avoir ouvert de nouveaux horizons pour les jeunes réalisateurs africains?

Beaucoup viennent vers moi. J’en produis certains (dont une jeune réalisatrice congolaise). Ils savent maintenant qu’il est possible de faire des films à la fois populaires et parlant de la vie réelle.

Allez-vous poursuivre vous-même dans cette voie?

Oui. Mon prochain film suivra les mésaventures d’un flic chinois débarquant au Congo. Ce sera un polar, qui parlera de la présence chinoise en Afrique, un sujet capital pour mon pays et pour tout le continent… l

RENCONTRE LOUIS DANVERS

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