Manhay est le disque le plus fort de Daan. Malgré son théâtre d’ombres, l’album livre un portrait intime et transgressif du chanteur mélancolique.

Un soir d’avril, chez Daan, du côté d’lxelles. Cette large maison en bord du chemin de fer, définit son propre monde en deux étages séparés par une couche de béton. Au-dessus, sa vie amoureuse, sa compagne, sa fille de deux ans. Au rez, derrière de lourdes tentures qui étouffent le roulis des trains: son espace studio. Boules d’argent au plafond, billard, piano pleine queue, collection de guitares au mur ( » achetées avant eBay ») et des myriades de claviers plus un Pro Tools avec lequel il réalise ses albums. Ceux-ci connaissent un vrai succès commercial, les deux derniers, Victory (2004) et The Player (2006) se vendant respectivement à 26 000 et 28 000 exemplaires sur le Benelux. Ailleurs, tout reste à faire mais ces chiffres se situent bien au-delà de la moyenne belge des Girls par exemple. La soirée s’annonce néanmoins difficile: c’est l’un de ces moments où les deux vies superposées de Daan – la civile et l’autre – se clashent avec plus ou moins de fracas et d’excès. Pas à la façon de l’accident de bagnole qui a bien failli terminer l’histoire daanes- que une nuit où il revenait trop tard, trop vite, d’un bled flamand où il mixe ses travaux musicaux. Mais la mélancolie est au rendez-vous du jour, alimentée par un rouge sud-africain qui dilue momentanément l’angoisse. Derrière son théâtral drôle et débonnaire, Daan – quarante piges en septembre – joue de cynisme, un mot qu’il emploie comme on badigeonne les certitudes. On parlerait plutôt d’ironie, matière explosive manipulée avec dextérité dans son nouveau clip pour Exes, version soft ardennaise de Massacre à la tronçonneuse. On y voit un mec inquiétant – Daan bien sûr – faire le tour d’un village en brisant à la hache les souvenirs de c£ur de paysans. C’est aussi le moment le plus  » Who » de Manhay (cf. encadré): blindé de synthés dévastateurs, il brille d’une vaste énergie qui rappelle le groupe sauvageon de Pete Townshend.

D’abord, il y a ce clip, à la fois drôle et violent, surréaliste, où l’on te voit en serial-hacheur puis, toujours avec ton arme menaçante, dans une robe de mariée, courant dans les bois…

C’est l’image de tout ce que j’adore, c’est ma version de Vol au-dessus d’un nid de coucous ardennais. C’est l’histoire d’un type qui en veut à ses ex mais ne peut pas toutes les décimer. Je voulais la hache: c’est un bête jeu de mot puisque hache, en anglais, c’est axe, comme ex… Avec l’idée de transformer toute l’énergie que l’on peut ressentir face à son passé, dans certaines images qui s’avèrent complètement dégoûtantes ( ndlr: il montre le cliché de lui en robe, cigarette au bec, l’air menaçant)! La robe de mariée, c’est la volonté de désacraliser. Portée par un homme, c’est déjà étrange, mais avec une hache en main, cela forme un court-circuit supplémentaire!

Tu as tourné en Ardenne, dans les environs de Manhay, le village près duquel tu possèdes une maison de campagne où tu te réfugies régulièrement. Quelle a été la réaction des gens du coin?

On avait acheté un certain nombre d’objets à détruire aux puces à Bruxelles et on passait de porte en porte demander aux gens s’ils voulaient bien apparaître dans le clip, si cela ne les dérangeait pas qu’on casse quelque chose devant chez eux, avec eux. En Flandres, il ne faudrait pas essayer ce genre de choses mais en Ardenne, tout le monde était ouvert, genre  » pas de problème pour fendre à la hache une télévision devant ma maison » (rires).

Quel genre d’inspiration esthétique, filmique, t’amène à ce délire visuel?

Des films comme Badlands avec Martin Sheen ou They Shoot Horses, Don’t They?, des films cyniques, ou qui répondent à ma notion de cynisme, peut-être plus basse que la moyenne. J’ai un problème de base avec le concept même de vie: je trouve cela curieux de trouver l’énergie de créer des choses, sachant d’avance qu’on va périr. Même tous les bons trucs de la vie, ont tendance à péricliter. Sur un plan émotionnel, on va rencontrer tous les sentiments possibles, et au plus tôt on les rencontre, au plus vite, on va se brûler…

Dans la série documentaire Mijn vader récemment diffusée sur Canvas, la scène finale te montre avec ton père et ton fils de neuf ans: c’est l’idée de transmission?

Je suis romantique, j’adore la vie, la seule échappatoire à cette fatalité qu’on va tous mourir, c’est d’avoir un fils. Cela me console de l’idée que mon père va mourir. En ayant un fils qui aura grandi, je serai obsolète, je passerai le flambeau, je pourrai mourir.

Pas trop vite stp. La part théâtrale de ta musique n’a pas disparu mais sur Manhay, il y a aussi des moments qui se rapprochent davantage de toi. Peut-on dire que c’est ton album le plus personnel?

Je suis un expert de la nuit, j’adore tous les fous qu’on peut rencontrer dans ces moments-là, y compris moi-même et je ne sais pas écrire de bonnes paroles d’après les infos du journal. J’ai donc donné cette place à la grande ville: elle sert d’input à mes chansons. Mais je trouve également très gratifiant de me retirer en Ardenne, de m’y déconnecter: j’y trouve devant moi, une page vierge, blanche, et j’ai besoin des deux univers. Quand je vais dans la forêt, je trouve cela aussi compliqué qu’une ville: la façon dont la lumière se fait casser par les bois, me perturbe autant que les blocs de bureau au centre-ville. Sur un plan auditif, il n’y a pas de silence en Ardenne: les sons sont générés par le vent et les animaux…

Tu as passé une grande partie de ton enfance et de ton adolescence dans une maison, près de Leuven, juste à côté des bois. Retourner dans les forêts ardennaises, n’est donc pas un hasard?

Le choix de devenir musicien était un détour pour en arriver à ma jeunesse, je ne voulais pas être un enfant raté, je continue mon enfance et c’est très chouette!

Sur Manhay, il y a davantage d’harmonie, quelques mélodies superbes que tu laisses – enfin – aller…

Sur mes autres disques, il y avait déjà de belles mélodies, mais je les cassais. Ici, comme tout partait du piano, je ne voulais pas les dissimuler…

Un désir de pureté?

J’admire la démarche de mon père ( ndlr: Jef Stuyven est un peintre reconnu) qui est « pure » et me culpabilise de ma démarche « pervertie ». Un peu comme si par ruse, comme le vilain dans les BD, j’avais bien observé mon maître et lui avais volé ses trucs. Je me suis longtemps senti coupable de cela. On peut lire les paroles de l’album et comprendre que j’y suis très nu, un peu exhibitionniste. Je fais encore des jeux mais au bout de cinquante minutes, cela devient difficile de distinguer les boutades des vérités. Finalement, il n’y a pas de hasard… Le mélodrame, le théâtre, dans la mesure où ils sont là, font peut-être partie de moi-même.

Dans Radio Silence, ta voix change, tu deviens quelqu’un d’autre!

Je ne change pas ma voix, je la monte jusqu’au moment où elle est prête à casser. Je pensais qu’il y avait tellement d’agressivité dans ce morceau qu’il n’y aurait plus de place pour un chanteur… Le côté androgyne est intéressant: quand tu pousses la voix dans les aigus, tu touches à ce qui est normalement prévu pour des femmes, une chouette région, unisexe… Sur ce disque, je savais que ma voix allait être au premier plan, donc j’ai beaucoup travaillé mes textes, comme si j’étais Aznavour avec un micro et tout l’orchestre derrière…

Avec Brand New Truth, tu as écrit une chanson politique. Pour quelle raison?

Cela parle du négationnisme, du créationnisme. Il y avait un cordon sanitaire autour du Vlaams Belang mais maintenant tous ces gens-là, les Jean-Marie Dedecker et autre Bart De Wever, ont été récupérés et jouent aux Quizz sur la TV flamande. Après son apparition à De slimste mens ( ndlr: jeu populaire sur la VRT), De Wever est quand même passé de 5 à 7 %. On sait pourtant que c’est une saucisse ce type (sic), le genre de gamin auquel on cachait son cartable à l’école! Je suis un pacifiste, je ne fais que la plaidoirie de la tolérance et je ne supporte pas les mecs à la télé avec des discours négatifs. Je roule en Flandres et je vois au bord de la route ces panneaux du Vlaams Belang qui disent  » On paie deux mille euros pour chaque wallon » mais moi, j’aurais payé bien plus cher pour ma femme (rires)(1)!

(1) L’actuelle compagne et mère de la fille de Daan est francophone, tout comme son ex, la mère de son fils… Manhaychez Pias le 27/04.

en concert le 30/04 à La Caserne Fonck à Liège, le 2/05 au Pac Rock de Pont-À-Celles, le 13 aux Nuits Botanique et d’autres dates en Flandres.

www.daan.be

Entretien Philippe Cornet, photos Charlie De Keersmaecker

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