Il y a trente ans, Roberto Rossellini tournait son dernier film, Le Centre Georges Pompidou. Resté inédit, il resurgit aujourd’hui, en même temps que plusieurs documents sur le maître italien.

Imaginez-vous visitant Beaubourg au son de « Marche pas! C’est une £uvre », et autre « Ces tuyaux, ça sert à quoi? C’est une sculpture, c’est de l’art moderne ». C’est là, pour partie, l’expérience proposée par Roberto Rossellini dans Le Centre Georges Pompidou. Qu’un film du père du néo-réalisme italien et auteur de nombre d’£uvres majeures, de Rome, ville ouverte au Voyage en Italie, soit resté ignoré pendant une trentaine d’années, voilà qui dépasse pour ainsi dire l’entendement. C’est pourtant le sort qu’a connu ce documentaire tourné par le cinéaste en 1977, quelques mois avant sa mort.

Oublié depuis – il n’avait connu qu’une diffusion à la télévision, l’année de sa réalisation -, le film resurgit aujourd’hui, grâce à l’opiniâtreté de quelques fidèles, au premier rang desquels son producteur d’alors, Jacques Grandclaude. Avec Rossellini au travail et Le colloque de Cannes – deux documents, l’un en forme de making of, l’autre illustrant l’engagement intellectuel du cinéaste – Le Centre Georges Pompidou forme, sous l’appellation Rossellini 77, un triptyque précieux, en même temps que l’invitation à partager l’ultime parcours cinématographique d’un maître. (1)

SOCIOLOGIE DE L’ART

îuvre de commande, réalisée à la demande du ministère français des Affaires étrangères à l’occasion de l’ouverture de Beaubourg, le documentaire de Rossellini est intéressant à plus d’un titre. Son dispositif d’abord qui, au départ de plans d’ensemble à hauteur des toits de Paris, nous conduit, guidés par une caméra toujours en mouvements fluides, vers le nouveau-né, embrassé de différents points de vue. C’est une sorte de « Paris-Chantiers » que l’on apprécie, en un regard à peine détourné par les sons ambiants, et un modèle de film d’architecture.

La découverte de l’intérieur du complexe multi-culturel n’est pas moins fascinante, orientée toujours par le mouvement tout en souplesse de la caméra. Le cinéaste est le maître de la visite, qu’il s’agisse de l’exposition sur l’imagerie politique – où pointe le sourire (pré)-carnassier de Chirac, alors que le PS arbore encore fièrement, signe des temps, la rose au poing – ou des collections d’art, où la caméra glisse de Chagall en Pop art, voire aussi des respirations récurrentes que sont autant de vues tendues vers l’extérieur.

Révélateur, le film est aussi surprenant dès lors que Rossellini orchestre de curieux contrepoints entre image et son, au gré des déambulations d’une caméra ayant, pour le coup, l’oreille baladeuse. L’intérêt dépasse alors le strict cadre cinématographique pour atteindre à une dimension quasi-sociologique, en restituant, tel un commentaire off capté en son direct, les réactions de visiteurs confrontés à l’art moderne. Ce qui vaut au spectateur une bande-son où le rejet le dispute à l’incompréhension, sur le mode « Faut pas rigoler, quand même » voire encore « Tu mets une signature, n’importe quel con appréciera ». Plus qu’une séance de vidéo-gag, on verra dans ce montage un document éclairant sur le rapport du public à l’art moderne mis en scène de façon inédite, Beaubourg apparaissant comme un espace précurseur de partage de la culture. Rossellini, lui-même, y voyait « un phénomène important. J’ai regardé le phénomène. Je n’ai utilisé dans le film ni musique ni narrateur. J’ai voulu montrer Beaubourg. J’ai caché des dizaines de micros et j’ai recueilli toutes les voix du public qui court en masse à Beaubourg. » Ce faisant, le cinéaste d’ Allemagne, année zéro signait un manifeste puissant, inscrivant le Centre Pompidou dans son espace et dans son temps.

DEMARCHE D’ENTOMOLOGISTE

Complément idéal de ce film, Rossellini au travail en est en fait le making of. Vingt heures de rushes ont servi à sa réalisation (pour un montage brut atteignant désormais une cinquantaine de minutes), Rossellini ayant accepté d’être filmé par Jacques Grandclaude et la Communauté de cinéma comme on filmerait un insecte, pas à pas. De cette démarche d’entomologiste découle un document éclairant diverses facettes du travail de cinéaste – son travail avec ses proches collaborateurs, comme le chef-opérateur Nestor Almendros, mais encore la précision de chacun de ses gestes, ou ce souci viscéral d’honnêteté. Un film venant, en tout état de cause, tordre le coup à certaines idées reçues, dont celle voulant que Rossellini aurait vécu ses tournages en dilettante.

Dernière pièce au dossier, Le colloque de Cannes propose une synthèse des discussions autour de l’avenir du cinéma et de la télévision qu’anima le cinéaste pendant le festival de Cannes 1977, dont il assumait la présidence. Rossellini y apparaît investi, mais plus encore visionnaire, ses propos ayant conservé une saisissante pertinence. Un testament – Rossellini devait mourir quelques jours après la fin du Festival – qui méritait, assurément, d’être réhabilité.

(1) Rossellini 77: le 18/04, au cinéma Arenberg, Galerie de la Reine, 1000 Bruxelles. Les 19 et 20/04, au Musée du Cinéma (bis), rue Ravenstein, 60, 1000 Bruxelles, dans le cadre d’un programme combinant séminaire autour des thèmes du cinéma et de l’architecture, et programmation de plusieurs films de Roberto Rossellini. www.cinematheque.be

TEXTE JEAN-FRANçOIS PLUIJGERS

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