Beats et bêtes peuplent le nouvel album de Sharko. L’art du contre-pied selon David Bartholomé.

Difficile de raconter Sharko. Personnage à l’humour décalé et à la pop surréaliste, David Bartholomé est le plus vieux représentant d’une scène rock qui n’existe pas. Il est le seul mec à chanter dans sa chaussure sans se faire enfermer. A se teindre les cheveux sans pour autant être ringard. Et à écouter en boucle le dernier Fleet Foxes pour finalement accoucher d’un album remuant, par moments franchement dansant. Cet album, son cinquième, l’Arlonais l’a enregistré à Londres avec Dimitri Tikovoi (Placebo, The Cranes, The Horrors, Ghinzu…). Il nous en parle ici, maintenant, et tiendra pendant un mois son carnet de bord dans Focus (voir p. 19).

En quoi votre mini tournée à New York en mars 2008a-t-elle déteint sur Dance on the beast?

Elle a joué sur notre moral, sur notre assurance. Elle nous a permis de surmonter notre complexe d’infériorité. Convaincre des fans de métal, des rappeurs black et des Jamaïcains nous a mis en confiance. Nous nous sommes dits que nous n’étions pas si mauvais que ça. Que nous n’étions pas un groupe local. Que nous n’intéressions pas que Namur, Liège et Charleroi. J’avais déjà éprouvé ce sentiment à Londres même si l’Angleterre me fait moins rêver.

Pourquoi vous êtes-vous orienté vers un son plus dansant?

Je tenais à éviter le Sweet Protection 2, le retour de Molecule. Je voulais changer de registre. Jouer avec davantage de rythme. Nous avons mis du temps avant de trouver notre voie. Nous avons pas mal avancé en découvrant à Londres de vieilles machines. Des séquenceurs seventies. Sur Yo Heart, Dimitri Tikovoi a utilisé des sons très synthétiques et en même temps 100 % assumés. A un moment, je me suis dit: merde, je sonne un peu comme Justin Timberlake. Certains seront peut-être rebutés par le son, par ces nouvelles directions mais je suis vraiment heureux de ce contre-pied.

Vous avez une idée de ce que les gens attendent de vous?

Pas la moindre. J’ai toujours l’impression qu’on ne me prend pas au sérieux. Je ne nous compare pas mais je repense à Marc Moulin qui posait les jalons de la musique électronique, enregistrait des albums instrumentaux, passait à l’Eurovision et produisait Lio. Beaucoup prétendaient que rien, chez lui, n’était profond. Que tout restait superficiel. Or, on se rend compte aujourd’hui que c’était plutôt l’inverse. Je suis un trublion, oui, mais j’ai aussi du fond. Les gens qui adoraient I Went down ne se sont pas tous retrouvés en écoutant Spotlite. Ni ensuite dans ce que j’ai pu proposer de plus sombre, plus sec, plus rock. Je ne veux pas de la caricature du rockeur. Des lunettes de soleil et des santiags. Je veux que l’engagement vienne du public. Au bout d’une heure de concert avec Sharko, je veux faire du métal, chantonner un morceau pour les scouts…

ça vous plairait d’enregistrer un hymne punk, puis un tube à la Justice et un classique du hip hop?

ça tient du fantasme. Parce que techniquement, nous sommes freinés par des tas de paramètres. Il faut du temps, de la patience, des idées claires. Certains musiciens sont très bons dans un domaine et pas dans un autre. Les uns tapent à côté de la plaque quand ils cherchent quelque chose de sentimental. Les autres se plantent quand ils jouent la carte du cynisme. Je rêve de toucher à tout avec le même succès mais c’est impossible. Soit ça foire, soit ça s’appelle un side project.

Qu’est-ce que vous choisissez comme chanson à la maison si vous voulez faire danser vos invités?

Je ne veux pas me la jouer branché. Choisir un remix super hype qu’on n’entend que dans l’Angleterre underground. Je préfère un classique qui va fédérer tout son monde. En même temps, je voudrais quelque chose de décalé, de différent et je finirais sans doute par mettre Claude François. Claude François est connoté ringard mais en même temps, les gens bougent plus leur cul qu’avec le dernier Yeah Yeah Yeahs ou le nouveau Franz Ferdinand.

Quelles sont ces créatures que vous considérez comme le fil rouge de votre nouvel album?

La souris non désirée qui a bouffé plein de trucs dans mon appartement et m’a emmerdé pendant trois jours. La fille siliconée qu’on rencontre dans les soirées branchées. Le mec qui me tabassait quand j’avais 13 ans et veut maintenant être mon ami sur Facebook… Pendant la présentation à Paris du C£ur des hommes, film dont la B.O. compte deux morceaux de Sharko, nous avons rencontré la Jet Set dans toute sa splendeur. Je ne veux pas passer pour le pauvre petit minus qui ne sort jamais de sa province mais nous étions ébahis. Nous ne trouvions pas du tout la situation naturelle. Même si je suis convaincu que beaucoup de gens devaient se demander qui nous étions et ce que nous foutions là. J’ai aussi vu un des premiers De Palma, ultra gore avec de l’hémoglobine partout, qui m’a plus fait rire que peur. Cet album est né d’une accumulation de concepts et d’idées.

En jouant Excellent à la Nouvelle Star, Julien Doré a dopé les ventes de Sharko?

Je ne pense pas, non. J’ai vu 30 versions différentes sur YouTube. Des mecs qui prennent le relais. Je trouve ça chouette. Maintenant, quand on interprète I Need someone en duo, les gens se demandent c’est qui, c’est quoi… La situation, petit à petit, change mais Julien joue encore souvent devant un public qui va voir le gagnant de la Nouvelle Star. La première fois, je me suis dit qu’on m’applaudissait poliment mais que je me retrouvais face à un public de culture télé. Des gens qui ne savent pas qui je suis, écoutent Bel RTL et regardent TF1. Des gens qui ne vont pas creuser et aller écouter sur MySpace ce que je fais. Si Nick Cave met un jour unt-shirt Sharko et clame que je lui troue le cul, ce sera autre chose.

Voyez-vous votre journal de bord comme un journal intime qui ne l’est pas vraiment ou comme un moyen de vous rapprocher de votre public?

J’ai un jour été invité à manger chez un ami en même temps qu’une immense star du football international. Nous lui avons parlé des dessous du foot. Il nous a raconté quelques anecdotes sur ce qu’il se passe dans le milieu, dans les vestiaires. Ça m’a longtemps trotté dans la tête. Nous nous sommes revus et je lui ai demandé pourquoi il n’écrivait pas un bouquin. Pourquoi il ne partageait pas ces histoires et impressions en interviews plutôt que de ressasser des trucs bidon du genre: on a bien joué. On a dominé la première mi-temps… Il pouvait être franc, honnête. Je trouvais ça tellement sincère que difficilement attaquable. Mais le foot est un sport collectif et on ne brise pas comme ça la loi du silence. J’ai ruminé pendant plusieurs mois. D’autant que les blogs de groupes sont généralement ennuyeux et mal foutus. Je me souviens de celui de Notwist. J’avais envie d’autre chose. De raconter mes aventures, mes angoisses. Je ne veux pas mettre les gens dans la merde. Il ne s’agit guère d’un concours de délation. Loin de moi l’idée de balancer que l’un prend de la drogue, que l’autre va chez les putes. Mais je peux quand même écrire que j’ai des hémorroïdes.

Entretien Julien Broquet

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content