Acteur protéiforme, Mathieu Amalric campe, avec Dominic Greene, le mauvais se dressant sur la route de 007. En toute ambiguïté…

Dans la catégorie inclassable, Mathieu Amalric se pose un peu là. L’homme se veut réalisateur – il a, d’ailleurs, tourné trois longs métrages dont l’impeccable Stade de Wimbledon -, vocation dont ne cessent, cependant, de le détourner les sollicitations de metteurs en scène jetant leur dévolu sur l’acteur. Depuis qu’Otar Iosseliani l’invita devant la caméra des Favoris de la lune, Mathieu Amalric a, en effet, imposé une manière, toute personnelle, en même temps qu’un talent, affolant. Des qualités qu’il dispense, avec un égal bonheur, dans différentes familles de cinéma, aussi à l’aise chez Arnaud Desplechin, (dont il a partagé tous les films, jusqu’à, tout récemment, le formidable Un conte de Noël), ou Nicolas Klotz ( La Question humaine), que chez Claude Miller ( Un secret) ou Julian Schnabel ( Le Scaphandre et le papillon). Capable aussi, privilège rare, de faire sans encombre le grand écart entre cinéma d’auteur et superproductions, qu’elles soient françaises (il faut le voir en François Besse, dans L’Ennemi public n°1, le second volet du Mesrine de Jean-François Richet, magistral au point de presque sauver le film de la panade) ou internationales ( Munich).

On le retrouve aujourd’hui marchant sur les pas de Michael Lonsdale, pour incarner Dominic Greene, le méchant du 22e Bond, Quantum of Solace. Un rôle qu’il évoquait avec un plaisir gourmand, en mai dernier, alors que le tournage s’était arrêté sur les rives du lac de Constance.

Focus: pourriez-vous nous en dire un peu plus sur Dominic Greene?

Mathieu Amalric: c’est un homme bien sous tous rapports. Il veut sauver la planète, planter des arbres, donner une terre aux démunis – il est résolument ancré dans notre époque. Qui sont les méchants, de nos jours? Nous ne le savons même plus. On a l’impression qu’ils sont tapis quelque part, discrets, à l’affût, avec, pour arme définitive, leur sourire et leurs bons sentiments. Au départ, je n’ai pas vraiment compris comment ils pouvaient me demander de jouer le méchant – j’ai cru à un moment qu’il y avait eu erreur sur le nom, regardez-moi (rires). Et puis, j’ai compris: avec Marc Forster, le réalisateur, nous essayons de construire quelque chose de compliqué et ambigu, au point que Bond lui-même y perd son latin. Il ne sait pas exactement qui est le mauvais, ni, une fois qu’il l’a identifié, quelles sont ses motivations. C’était donc intéressant à jouer.

Le méchant que vous interprétez vous effraye-t-il parfois?

Oui. J’ignorais avoir des sentiments aussi vils en moi – mais c’est l’un des aspects stimulants du métier d’acteur, d’aller chercher en soi des choses que l’on ne peut montrer dans la réalité. Mon personnage m’effraye également à cause du monde dans lequel nous évoluons: on ne sait pas pourquoi il y a la crise des subprimes, ni pourquoi le prix du riz augmente ni pourquoi certains individus s’enrichissent grâce à la pollution, en vendant le droit de polluer à d’autres. On ne les voit pas, et Dominic Greene est leur digne représentant. C’est un individu jeune, cultivé, poli et respectable, ce qui est bien plus effrayant qu’un type affichant une cicatrice sur la joue droite ou une mâchoire en acier, voire quelqu’un se promenant avec un chat blanc, parce que là, on sait immédiatement à qui on a affaire.

A quel point avez-vous découvert un univers nouveau avec James Bond?

Quand on vous propose un tel rôle, il y a un côté Cendrillon. La vie est pleine de surprises. Si je peux continuer à faire en même temps des films d’auteurs français indépendants comme je les aime, et Bond, je pense retrouver là le sens même du jeu, à savoir avoir un spectre aussi large que possible, et faire des choses variées. Le travail reste toutefois toujours le même, certainement avec un acteur comme Daniel Craig, qui a un background théâtral, et avec un réalisateur comme Marc Forster, dont tout le cinéma tourne autour des acteurs.

Dans quelle mesure un réalisateur peut-il conférer sa vision à un tel projet?

Barbara Broccoli et Michael G. Wilson, les producteurs, sont des gens intelligents. Quand ils ont approché Marc Forster, ils savaient qu’il réalisait des films très différents, et ils l’ont laissé venir accompagné de son équipe, du chef-opérateur au responsable des effets spéciaux. Ils voulaient vraiment quelqu’un qui ait sa vision. Il y a des règles, bien sûr, mais Marc en était bien conscient, et s’est plutôt amusé à en jouer. S’il n’y a pas de règles, et que l’on peut faire ce que l’on veut, on s’ennuie assez vite.

Bond a opéré un sérieux lifting avec Casino Royale. Considérez-vous qu’il soit représentatif de son époque?

Absolument. Comme tous les Bond l’ont été, déjà à l’époque de la guerre froide. Le fait de ne pas savoir d’où vient le danger ni qui détient le pouvoir, d’évoluer dans un monde où tout tourne autour de l’information, et où tout puisse se répandre, comme un gaz, en fait définitivement un personnage très réel.

Que représentait-il pour vous auparavant?

Il fait partie de notre vie, sans que nous en soyons vraiment conscients. Je pense avoir vu tous les Bond depuis que je suis gamin, sans être maniaque pour autant. Bond fait partie de notre imaginaire collectif; je trouve d’autant plus courageux que la production ait décidé, avec Casino Royale, de sortir des clichés. Mais, à l’heure de 24H chrono ou de la série des Bourne, qui sont tellement réalistes, continuer comme par le passé aurait été stupide.

Rencontre Jean-François Pluijgers, à Bregenz

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