Mais où est passé In Koli Jean Bofane, écrivain congolais installé en Belgique qui a fait pousser coup sur coup sur l’arbre littéraire francophone deux fruits particulièrement juteux, Mathématiques congolaises et Congo Inc. ? Depuis jeudi dernier il ne répond plus à nos appels, à nos mails ni à nos coups de téléphone frénétiques. Une disparition subite dont John Le Carré aurait pu faire l’amorce d’un roman d’espionnage aux ramifications mondiales sur fond de trafic de diamants…

N’étant pas Le Carré, nous nous contenterons de pester contre ce silence qui nous a donné des sueurs froides tout au long de la réalisation acrobatique de ce numéro. Car nous étions en affaire avec l’homme de plume. Il y a plusieurs mois déjà, quand nous avons appris que les Francofolies de Kinshasa auraient lieu en septembre après une première tentative avortée l’an passé pour cause d’Ebola, nous avons pris contact avec le romancier pour qu’il aille sur place et nous ramène un grand reportage puisant sa source dans le journalisme littéraire, cette décoction lente et parfumée de l’information dont on commence à réapprécier les charmes à l’heure du fade zapping mondial.

Ce n’est pas toutes les semaines que nous convions un écrivain à notre table. Aussi avions-nous vu les choses en grand: une couverture et huit pages. Et pour que le plumage soit à la hauteur du ramage, nous avions demandé à Jean Bofane, qui a ses entrées sur place, de nous trouver un photographe local qui pourrait illustrer l’ensemble. On pensait jouer sur du velours, pas mécontent de proposer un autre récital que celui qu’allaient entonner à l’unisson nos confrères. Mais ça c’était avant jeudi dernier…

Sans entrer dans les détails, il faut savoir que la couverture de Focus est imprimée le vendredi de la semaine qui précède la publication alors que le reste du magazine part à l’imprimerie seulement le lundi. Par mesure de sécurité, nous avions demandé au poulain des éditions Actes Sud d’envoyer le package le mercredi, soit cinq jours après son retour de Kin. Ne voyant toujours rien venir le jeudi matin, nous avons eu brièvement l’intéressé en ligne qui nous a rassuré sur son texte – » Je dois juste relire« -, un peu moins sur les photos qui restaient coincées dans la tuyauterie numérique congolaise. Une nouvelle échéance est fixée au vendredi 10 h. A l’heure dite, toujours rien. Ni texte ni images. Ça commence à sentir le roussi pour la couverture qui doit être partie vers midi. Son téléphone sonne dans le vide. A 11 h, on passe au plan B: illustrer la cover avec une image du photographe qui était dans les valises de la chanteuse Noa Moon, programmée au festival.

Si le volet graphique de l’opération a capoté, on reste persuadé que Jean Bofane va se manifester. D’où l’annonce en couverture du récit exclusif. Après tout, il reste encore le week-end. Las, après 48 heures de tentatives désespérées de le joindre par tous les moyens modernes, il faudra nous rendre à l’évidence: Jean Bofane nous a lâchés. Nous voilà bien, avec une Une désormais boiteuse et un trou de huit pages derrière à J-1…

En mobilisant les bonnes volontés et en rapatriant un sujet (la rétrospective Ai Weiwei) on finira par limiter la casse. On a même réussi à aborder le festival par la bande à travers les souvenirs congolais de Noa Moon. Reste une impression tenace de gâchis. Sauf s’il lui est arrivé quelque chose de grave, l’absence de réaction, même pour nous envoyer sur les roses, est incompréhensible.

En attendant le fin mot de l’histoire, on s’excuse platement pour cette promesse éditoriale non tenue. Une mésaventure qui nous rappelle la fable du Renard et du Bouc de La Fontaine. Les deux compères entretiennent de bonnes relations. Ils se retrouvent dans un puits pour boire. Pour en sortir, le Renard invite le Bouc à lui servir d’échelle en disant qu’il l’aidera ensuite. Sauf qu’il l’abandonne une fois tiré d’affaire. La suite se passe de commentaire:

 » Si le ciel t’eût, dit-il, donné par excellence Autant de jugement que de barbe au menton, Tu n’aurais pas, à la légère, Descendu dans ce puits. Or, adieu, j’en suis hors. Tâche de t’en tirer, et fais tous tes efforts: Car pour moi, j’ai certaine affaire Qui ne me permet pas d’arrêter en chemin. En toute chose il faut considérer la fin. »

PAR Laurent Raphaël

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