Autour du Bataclan

© © Emma Picq

Erwan Larher en est à son sixième roman, mais la rentrée n’a d’yeux que pour celui qu’il ne voulait pas écrire: un objet littéraire, bien plus qu’un récit, autour de la tuerie du Bataclan. L’écrivain y était.

C’était sans doute inévitable. Pensez: Erwan Larher était le seul écrivain présent parmi les 1 500 spectateurs ce soir-là. Un jeune écrivain, mais qui connaît son métier: quatre romans étaient déjà sortis avant ce 13 novembre, le cinquième (Marguerite n’aime pas ses fesses, déjà chez Quidam) en était aux corrections, ce sixième ne devait pas exister. Il représente même tout ce que l’écrivain abhorre, comme il est venu l’expliquer il y a quelques jours à Liège, à l’indispensable librairie Livre aux Trésors: « L’autofiction m’embête beaucoup. Parler de ma vie, ça ne m’intéresse pas tant que ça. Jusque-là, il y avait 5 % de moi et 95 % de fiction dans mes romans. Pour celui-ci, j’ai dû inverser la tendance, presque malgré moi.« Car non, il ne pouvait pas ne pas écrire ce livre qu’il aurait voulu ne jamais devoir écrire. Il l’écrit même mieux que personne: « Tu t’es couché au sol, tu as pris une balle à bout portant, tu t’en sors sans trop de dommages. Quel lien avec ton travail de romancier, avec tes livres ? (…) Et sans cesse on te demande si tu vas écrire dessus. Non. Tu vas écrire autour. » Erwan Larher a donc entamé par écrit un dialogue avec lui-même, « sans savoir s’il s’agissait là d’un journal intime ou de quelque chose de littéraire« . Et comme il le raconte, ses amis écrivains lui ont mis la pression. « À partir de là, ce n’est plus ton histoire. Plus seulement ton histoire. C’est aussi la nôtre. À partir de là commence une histoire que je ne voulais pas raconter. – Mais tu dois la raconter! » Erwan Larher raconte donc dans Le livre que je ne voulais pas écrire sa soirée du 23 novembre 2015 au Bataclan mais réussit, surtout, à donner corps à un « objet littéraire » qui va bien au-delà du témoignage. Et révèle effectivement un auteur, plus qu’une victime ou un héros -« Je ne me suis pas accroché à la vie. J’ai subi. »

Anti-rock

Erwan Larher a donc écrit « autour », pas « sur ». D’abord sur le rock, constitutif de sa personne et de sa présence ce soir-là au concert des Eagles of Death Metal. « Mais c’est aussi une sorte d’anti-roman rock, aime à plaisanter l’auteur. La seule drogue présente dans le livre est médicale, et le sexe, il n’y en a plus! » Ensuite sur sa personne, comprenez l’écrivain: « Il était hors de question pour moi d’aller témoigner, de « raconter », parce que je n’avais en tant que témoin rien à raconter. Et si je ne suis pas dupe de l’odeur du sang qui peut attirer les médias, j’insiste toujours pour dire que c’est un roman, pas un récit ni un témoignage. Par contre j’ai vite compris que je m’étais pris dans la gueule une matière brute que je pouvais placer dans mon mixer, dans ma pratique de l’écriture, où je place des idéaux très haut. En tant qu’écrivain, là, j’avais peut-être quelque chose à faire. Les médias qui ne s’intéressent qu’aux faits-divers, je les fuis.  » Dont acte, avant de venir à Liège raconter son roman à une poignée d’intéressés, Erwan Larher a décliné une invitation sur le Sept à Huit de TF1… On peut donc en revenir à son « objet littéraire », terme maintes fois revendiqué dans le roman. Extrêmement construit et où chaque phrase est pesée, Le livre que je ne voulais pas écrire impose effectivement une formidable expérience de lecture: narration à la deuxième personne, jeu avec le lecteur, insert de textes offerts par une dizaine de témoins (« ils n’avaient que trois contraintes, pas plus de 10 000 signes, ne pas faire joli et ne pas m’épargner« ) et sens inné du rythme et de la montée en tension, le sixième roman d’Erwan Larher donne surtout envie de découvrir ses précédents. Paraît-il tout autant habités d’optimisme, d’humour et d’amour pour la chose littéraire.

Le livre que je ne voulais pas écrire, de Erwan Larher, éditions Quidam. 268 pages.

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Rencontre Olivier Van Vaerenbergh

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