joey starr en taule pour un nouvel excès de violence n’est jamais que le symptôme cru d’une maladie répandue en rock’n’rap: le pétage de plomb. De Chuck Berry à Johnny Cash ou Cheb Mami, la gangsta’ attitude semble dopée par la célébrité.

Il faut imaginer la scène. Joeystarr, un lourd soir de mai, chargé d’alcool, de coke (1), peut-être provoqué par des mecs fêtards. Le jaguar voit rouge et remonte à toute berzingue dans son appartement parisien tout proche: il y chope une hache (…) et vient rendre des comptes directement à la voiture des agresseurs. Pathétique, normal, juste une autre résonance d’un casier judiciaire tragiquement chargé. Le prix de l’assaut de la carrosserie est cher: six mois ferme. Et la lucrative tournée d’été de NTM, prévue pour passer entre autres aux Ardentes, de se transformer en virée solo de Kool Shen et de ses amis (2). La chance est quand même passée par là: un coup de battoir mal placé aurait pu, simplement, tuer quelqu’un. Et là, claques, coups et éclats passés se terminaient en taule très longue durée. Dans le cas de Didier Morville/Joeystarr, gosse antillais soumis jeune à la violence paternelle, la réalité semble avoir doublé la fiction dans les virages, laissant le contenu ( Pose ton gun) dans le sillage d’une vie visiblement hors contrôle. Le talent de Starr, son incroyable panache physique, ce perpétuel tremblement du verbe qu’il insinue à ses textes, ont fini par se crasher dans son double maléfique. Grande gueule absolue, direction case prison.

Ce n’est pas être moraliste que de dire que le rap actuel, du moins son image hypertrophiée, s’est fait bouffer par sa division gangsta’. La violence est partout et, parfois, elle s’exprime sur le borderline puéril. Au-delà de la violence grossièrement imposée au public cible – les ados, en majorité – le hip hop semble se comporter à la manière d’un polar cheap s’enivrant de nauséeux parfums criminels. La liste des délits est aussi bruyante qu’un disque de Slipknot, le tabassage de girlfriend (Chris Rock et Rihanna) côtoyant toute une gente féminine prête elle aussi à en découdre, genre Lil’Kim tâtant de la cellule pour faux témoignage dans un crime avéré. Ou Foxy Brown, en prison pour avoir frappé des manucures ou jeté son BlackBerry à la tête d’un voisin… Tout cela vu au travers du prisme où tous les coups sont permis. Déviant de son origine première – prolonger la fête dans les projects du South Bronx – le rap US s’est mis en tête de prôner la réussite matérielle absolue, jusqu’à la caricature terminale. Marie Daulne, de Zap Mama, nous racontait récemment ses impressions sur le terrain US:  » La violence est autant celle de l’argent que des guns. J’étais en studio à Philadelphie avec les Roots, pourtant défenseurs d’un groove pacifique, et les enregistrements de la veille avaient disparu: ils ont d’emblée soupçonné l’ingé son et lui ont collé un revolver sur la tempe en lui donnant un ultimatum. Ramener les bandes ou… J’ai aussi entendu des histoires – vraies – de producteurs rap menaçant physiquement des mecs de « leur faire au moins trois tubes » sinon les problèmes allaient arriver.  » Contrairement aux statistiques de la criminalité ordinaire nord-américaine – en baisse depuis une décennie – le rap semble entretenir une persistante mauvaise fièvre du samedi soir. Depuis le double assassinat des frères soi-disant ennemis, Tupac Shakur et The Notorious B.I.G., en septembre 1996 et mars 1997, le rap US n’a cessé de cultiver un mauvais pédigrée. Un commerce fastoche, appliqué dans des clips archi premier degré – flingues, grosses caisses et petites pépées – qui n’a jamais vraiment surpassé ce double faits divers fréquenté par des personnages aussi douteux que Suge Knight (3). A côté, Joeystarr, c’est un chapardeur de carambars, et ce n’est pas plus mal… Entretemps, les mômes impressionnables – et pas seulement ceux de banlieues pauvres hein… – peuvent penser que ce modèle d’inconduite est le transporteur le plus rapide vers le fame, comme dirait JCVD.

Le virus de la célébrité

Cette digression sur le rap ne saurait occulter les excès des autres genres. Cheb Mami, raïeur ayant connu son heure de gloire dans les années 90, vient de prendre cinq ans ferme pour tentative de faire avorter sa compagne. Menée avec de sinistres méthodes de voyou – la fille est colloquée dans une villa isolée – l’opération recèle un autre type de sentiment: celui que la célébrité protègerait en toute impunité des conséquences ordinaires des crimes et délits. Comme si la notoriété était un baume propre à effacer les futurs casiers judiciaires… Comme si l’illégalité faisait nécessairement partie de la staritude: on pense moins à Johnny Cash saisi avec des quantités industrielles d’amphétamines qu’à Chuck Berry, roi du rock, arrêté en 1990 pour avoir installé des caméras voyeuristes dans les toilettes de son restaurant de Saint-Louis. Déviance cochonne pour l’auteur de Sweet Little Sixteen, pétage de plombs pour les vieux soldats du funk comme James Brown ou Sly Stone fréquemment entourloupés pour possession et consommation de drogues sympas, genre crack ou angel dust. Sans jouer au Docteur Focus Freud, il est permis de constater que cette fameuse célébritétend à rendre la star légèrement schizophrène, portant fréquemment deux personnalités: la publique contrastant volontiers avec la tenue privée, plus sombre, plus grave. Parmi les exemples récents: Pete Doherty, poète néo-Shelley de l’Angleterre sensible, perdu dans un labyrinthique CV de tox ou, encore chaud dans l’actu, Michael Jackson, assurément plus grande star planétaire de tous les temps (…), poursuivi au-delà de la mort par une réputation à jamais entachée de soupçon pédophile. Un crime majeur pour une star qui l’était aussi.

(1) Sébastien Farran, le manager de NTM, a déclaré après l’incident que Joey voudrait se désintoxiquer des deux substances mentionnées.

(2) L’annulation pure et simple de la tournée aurait mis Farran en faillite.

(3) Patron du label Death Row, soupçonné d’être impliqué dans les meurtres de Shakur et The Notorious B.I.G., il a été plusieurs fois condamné à des peines de prison lourdes.

Texte Philippe Cornet

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