Andrea de dos

Depuis 2009, chaque roman de Michel Jullien constitue la double promesse d’une plongée intimiste dans un instant aux marges du monde, et d’une écriture immensément inventive, d’une richesse éblouissante dans son absolue liberté. Le titre énigmatique de sa dernière livraison, d’apparente consonance sud-américaine, décrit pourtant très précisément son objet: une Andrea, soeur cadette, suivie au touche-touche, dans une étrange procession sud-américaine, par son aînée Ezia. Andrea, donc, de dos. Toutes deux sont physiquement imposantes, filles d’un fabricant d’épuisettes et d’une femme blessée dont la famille prie pour le rétablissement -soit, d’une petite classe moyenne en un pays qui ne paie pas de mine. La puînée est lanceuse de poids, fêtée championne à domicile, quand l’autre a embrassé une carrière d’ethnologue qui la rend incompréhensible à ses proches. Liées par un amour sororal sans rival, elles poursuivent en ces pages un but commun, imitées en cela par tous les croyants superstitieux du coin: cette année, comme le pays entier une fois l’an, elles parcourent les 33 kilomètres reliant Macoder à Jabuti, pour déposer leurs voeux aux pieds de la statuette d’une  » madone invalide« , d’une  » sainte manchote » . Une seule règle au périple, qui nourrira la tension dramatique: ne jamais lâcher la corde balisant la randonnée, sous peine de devoir repartir du départ ou faire une croix sur leurs espoirs. Sous ce prétexte, le brillant portrait d’une cohue survoltée, d’une démence collective et de méditations contrariées.

De Michel Jullien, éditions Verdier, 128 pages.

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