Un cinéaste est né! L’admirable Wonderful Town révèle en Aditya Assarat un jeune Thaïlandais au talent des plus prometteurs.

Une histoire d’amour, simple mais captivante, sur fond de ruines laissées par le tsunami de 2004. Une violence latente, qui pèse comme une menace. Des images où le style déjà maîtrisé s’exprime par le cadre, la durée des plans, les rapports entre personnages et décors. Wonderful Town séduit avec sobriété, émeut avec rigueur. Le talent fou d’un jeune réalisateur thaïlandais s’y révèle avec une rare évidence. Aditya Assarat aborde avec un mélange de détermination et d’humilité une trajectoire artistique qui pourrait faire de lui une des références de sa génération. Il nous explique son film, sa démarche et ses enjeux.

Focus: comment êtes-vous venu au cinéma?

Aditya Assarat: je n’étais pas un de ces gosses qui reçoivent une caméra et font des films à l’âge de 10 ans. J’étais un gamin normal, le cinéma n’était rien d’autre qu’un divertissement à mes yeux. C’est quand je suis allé faire mes études supérieures à New York que je me suis mis à voir beaucoup de films. Mais même alors, je me voyais plus dans la peau d’un écrivain que d’un réalisateur. Aussi parce que j’avais commencé à écrire très jeune. C’est quand j’avais écrit plusieurs scénarios que j’ai ressenti la nécessité de les filmer moi-même, tellement ils m’étaient chers et personnels. J’ai alors décidé d’étudier la réalisation.

D’où vous est venue l’idée de Wonderful Town?

Au départ, j’avais envie de raconter une histoire d’amour, simple, modeste. Au moment du tsunami, la petite ville côtière de Takua Pa, qui n’a rien de particulier en soi, est devenue connue de tous car on la voyait tous les jours à la télévision. Etrange célébrité que celle-là! Un an et demi après la catastrophe, j’ai eu l’occasion de m’y rendre, et l’atmosphère de la ville m’a captivé. C’est un lieu beau, calme, paisible et triste. J’ai tout de suite senti que je pourrais y situer mon récit de l’éclosion d’un amour.

Les personnages et les lieux ne cessent de dialoguer…

Je suis un de ces réalisateurs qui tirent beaucoup de leur inspiration des lieux, des décors. Il est par ailleurs raisonnable, d’un point de vue économique, de connaître l’endroit où l’on va tourner avant d’écrire le scénario final en fonction de cet endroit. Cette ville m’a beaucoup parlé, elle est devenue un troisième personnage principal.

Le tsunami n’est jamais directement évoqué dans votre film…

Il est dans le non-dit, dans les traces qu’il a laissées, dans une tension que j’ai voulu rendre palpable, comme si cette violence insensée qu’avaient déchaînée les éléments était encore là, sous la surface paisible des choses.

Comment avez-vous cherché, et trouvé, cette juste distance qui caractérise votre réalisation?

Juste distance est la bonne expression. C’est une chose fondamentale pour un cinéaste. Je l’ai approchée intuitivement. L’inconscient joue pour beaucoup (dont la mémoire inconsciente des films que j’ai vus), une forme d’instinct vous fait ressentir que c’est bien là qu’il faut mettre la caméra, et aussi quelle peut être la durée du plan. Un réalisateur est comme un peintre. Si vous demandez à un peintre pourquoi il a mis du brun dans un tableau, il vous répondra presque certainement qu’il n’en sait fichtrement rien (rire)…

Votre film, même très précisément situé géographiquement, a des résonances très universelles.

Sans doute l’un vient-il de l’autre. Les £uvres construites dans l’idée d’avoir une portée universelle ne finissent-elles pas souvent par ne plus avoir d’identité propre? Ne faut-il pas être de quelque part pour être entendu de tous? En tout cas, dans les nombreux pays où j’ai voyagé en accompagnant mon film (que beaucoup de festivals ont sélectionné), je n’ai pas constaté de réactions différentes. C’est un film à propos de gens, d’êtres humains. Tout être humain ailleurs sur la planète peut donc ressentir ce qu’ils ressentent. Ironiquement, c’est la réaction du public thaïlandais que j’appréhende le plus (rire). Car mes compatriotes connaissent cette histoire et son background si bien qu’ils ne laisseront pas passer la moindre chose qui leur semblerait décalée de cette réalité qu’ils savent, qu’ils ont vécue. De toute façon, en Thaïlande, une ou deux salles seulement programmeront mon film. Il n’existe pas chez nous de distributeur « art et essai », ni réellement de public pour autre chose que les grosses productions commerciales – américaines surtout. Un film comme Wonderful Town doit être autodistribué, et sera vu surtout par des étudiants et quelques vrais cinéphiles. Pourtant, c’est un film très accessible pour un large public. Encore faudrait-il que ce dernier soit « éduqué », devienne conscient que ce genre de cinéma existe…

u www.wonderfultown-lefilm.com

ENTRETIEN LOUIS DANVERS

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