Talent, audace et exigence font le beau printemps d’un ciné ma israélien désormais bien présent sur nos écrans.

En soixante années d’existence, Israël n’aura jamais vu éclore une telle floraison de cinéastes et de films reconnus internationalement. Bien sûr, le monde arabo-musulman reste très majoritairement et encore plus stupidement fermé à toute £uvre en provenance d’un pays haï, voire nié, quand il n’est pas simplement menacé d’une proche annihilation. Mais dans l’espace des régimes démocratiques, les festivals les plus importants et les distributeurs de plus en plus nombreux sont désormais attentifs à une production ne se limitant plus au seul (et très talentueux) Amos Gitaï.

Certes, le point sensible et crucial de la guerre et de la paix, des conflits militaire et politique avec les voisins arabes en général et les Palestiniens en particulier restent une donnée présente dans beaucoup de films. Mais le regard des cinéastes se pique d’explorer toutes les facettes d’une société multiple et parfois divisée, engagée dans un débat constant et souvent passionnel sur bien des sujets autres que directement politiques. Si des documentaires marquants comme Mur de Simone Bitton (méditation sur la construction du fameux mur de séparation) et Pour un seul de mes deux yeux de Avi Mograbi (réflexion sur le conflit actuel à la lumière des mythes anciens) évoquent directement l’impasse israélo-palestinienne, la situation n’est qu’un des éléments de The Bubble, où Eytan Fox a l’audace d’aborder un amour doublement tabou entre deux jeunes hommes, l’un Israélien et l’autre Palestinien.

DIVERSITé, CONTRADICTIONS

Quant à une autre sortie récente, Les Méduses de Etgar Keret et Shira Geffen, il croise plusieurs destinées complexes sans que l’ombre du conflit ne vienne pratiquement les influencer. L’encore inédit chez nous mais déjà sorti en France My Father, My Lord de David Volach prenant pour cadre une communauté juive orthodoxe et pour sujet la foi confrontée au doute, un peu comme le faisait voici peu Tehilim de Raphaël Nadjari…

 » Je ne me souviens pas d’une année, depuis deux décennies déjà, où il n’y ait pas eu au moins un très bon film israélien, méritant une circulation internationale, commente Eran Riklis, dont les remarquables Syrian Bride et Lemon Tree sont une des figures centrales de la « vague » (voir également notre interview en pages suivantes). Mais ce qui se passe aujourd’hui est bien sans précédent. Les écrans européens s’ouvrent comme jamais à nos films, même si le contexte politique dans les pays concernés reste dominé par une vision manichéenne du conflit entre un Israël perçu exclusivement comme un agresseur et les Palestiniens comme de pures victimes. Ce n’est certes pas à notre gouvernement que nous devons cet intérêt soudain, mais – je pense – au fait que les films en question reflètent l’extrême diversité de la société israélienne, ses riches et excitantes contradictions, tout ce qui en fait un lieu privilégié pour trouver de bonnes histoires. Nous racontons ces histoires, et comme aujourd’hui la plupart des gens dans le monde partagent les mêmes codes culturels, de Tokyo à Bruxelles, ils peuvent les comprendre et les apprécier…  »

Le contexte de liberté à peu près totale où peuvent évoluer les artistes en Israël n’est sans doute pas étranger à l’actuelle floraison d’£uvres personnelles, inconfortables, osées, radicales parfois, toujours en marge des stéréotypes même quand elles se veulent accessibles à un large public comme les films de Riklis ou La Visite de la fanfare, la comédie d’Eran Kolirin tout juste sortie chez nous, et dans laquelle un groupe de musiciens égyptiens s’égare en Israël. Défiant tout aussi bien les pouvoirs politique, militaire et religieux, affirmant leur différence sur tous les plans dont celui toujours potentiellement explosif de la sexualité (tel Eytan Fox important sa thématique gay jusque… dans un camp de l’armée avec Yossi et Jagger!)

L’oppression et l’émancipation de la femme, thèmes redevenus tristement actuels, occupent aussi une place de choix, comme dans le très sensible Prendre femme de Ronit et Shlomi Elkabetz ou le formidable Kadosh d’Amos Gitaï. Ce dernier restant, à presque soixante ans et avec une quinzaine de films à son actif, la figure de proue d’une cinématographie en plein essor expressif. Nous pourrons voir bientôt (à la mi-juin) le nouvel opus de ce réalisateur exigeant autant qu’audacieux. Disengagement prend pour cadre l’évacuation mouvementée de colons durant le retrait de Gaza en 2005, et pour sujet la quête d’une femme (Juliette Binoche) espérant retrouver sa fille abandonnée à sa naissance (photo). Une manière de mêler le collectif et l’intime qui pourrait bien être la marque principale d’un cinéma qui interpelle sa société plus qu’aucun autre en ce moment…

texte LOUIS DANVERS

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