Sur Last Night, Moby se transplante dans le New York des années 80: drogue, sueur et un doigt de sexe.

Le Thalys arrive à Cologne, taxi, Hôtel Intercontinental et bar cocktail cinq étoiles. Consommateurs affairés dans la pénombre. Ennui. Soudain, il faut laisser tomber la salade pour se diriger vers le septième étage. Moby nous y reçoit, dans un bar pour lui tout seul. Ni très grand ni très beau, mais poli, il parle sur un débit mitraillette new-yorkais à la Scorsese. En moins charismatique. Moby est un quadra expérimental qui a décroché un tube mondial avec l’album Play en 1999 (10 millions d’exemplaires vendus), plaisant assemblage d’électronique et de samples tirés de la musique roots américaine. Depuis lors, il n’a pas mis le feu aux charts avec la même intensité mais chaque album est un essai qui pourrait rapporter gros. Son nouveau Last Night navigue entre l’électro cheap échappé des compilations K-Tel et des morceaux plus mobyesques, le tout sous influence Giorgio Moroder et synthés années 80. Y compris des décalques barrés de Donna Summer ( I’m In Love). Le tout, sans originalité excessive, excepté peut-être sur Hyenas – qui sonne comme du Gainsbourg pour club – pour lequel Moby a engagé Nabeelah, une vocaliste algérienne amateur rencontrée dans un bar de Big Apple. » Cette jeune femme de Lille est venue chez moi et on a travaillé sur ce vieux livre bilingue des Saisons en enfer de Rimbaud, mon poète favori. Son désir de vivre, entre seize et vingt-deux ans, en-dehors de la société, reflète le désir de transcender le quotidien: c’est pour cela que les gens boivent, prennent des dro- gues, consomment du sexe et dansent. Dans l’espoir d’éviter la norme… »

BRASSAGE DE CULTURES

Last Night est selon toute évidence un disque nocturne imaginé pour la danse. Huit heures d’absence de sommeil pour une heure de musique. Pour le jeune homme nourri au classique dans une famille du Connecticut – Etat plutôt bourgeois voisin de New York -, Big Apple est la mégapole de tous les désirs. » L’une des plus grosses différences entre 1981, date de mes premières sorties à Manhattan, et maintenant, c’est que les artistes, peintres, écrivains vivaient tous dans la même zone, au nord de Chamber Street et en dessous de la quatorzième rue, explique Moby . Maintenant, tout le monde est parti pour Brooklyn, Queens, créant une nouvelle diaspora créative… La plupart des gens qui habitent dans le bas de Manhattan sont des avocats et des banquiers, pas des artistes. C’est dans la nature de New York d’être toujours d’humeur changeante. Là où je vis, à Little Italy, à un moment c’est italien, puis cinq ans plus tard totalement chinois, puis un lustre passe encore et il n’y a plus que des investisseurs. New York vous expose à un nombre considérable de cultures et reste une source importante d’inspiration. Quand j’ai commencé à écouter de la musique dance au mitan des années 80, il n’y avait pas de blancs dans les clubs house ou hip-hop… »

NOSTALGIE ET DROGUES

Lorsqu’on fait logiquement remarquer à Moby la sonorité rétro de son disque, il répond que c’est dans l’air du temps.  » Les DJ’s à New York, qui ont vingt ans, jouent tous de la musique des années 70 et 80 et beaucoup de producteurs sont très inspirés par cette période: la créativité et l’ingénuité vont parfois de pair. Regardez la peinture figurative, elle a été extrêmement créative pendant plus de 700 ans, y compris pour faire le portrait des vaches! » Toujours au rayon rétro, Moby se souvient de ses défonces – aujourd’hui remisées au placard bio/végétal:  » New York est une drug-city, les années 60-70 et les drogues étaient psychédéliques, puis l’héroïne s’est installée, la coke venant au début des années 80. Entre 1983 et 1991, le crack s’est imposé comme drogue vampirisante. J’ai tout essayé. Une fois, j’ai même consommé de la méthamphétamine, accidentellement: je l’ai découvert quand je me suis réveillé après avoir dormi dix heures. Je me sentais comme un vieux synthétiseur digital. »

LA MUSIQUE N’EXISTE PAS

L’ex-étudiant en philosophie est fasciné par le poids physique, inexistant, de ce qu’il fabrique:  » La musique est la seule forme d’art qu’on ne peut pas toucher, son seul impact étant de faire varier la façon dont l’air ambiant attaque votre tympan… La musique peut faire pleurer et crier les gens, déclencher une révolution, elle est présente aux naissances, aux mariages, aux enterrements, pendant que les gens font l’amour et qu’ils vivent des choses in- croyables. Mais lorsque U2 se produit devant 100 000 personnes, la seule chose qui change, c’est l’air qui fait vibrer l’ouïe.  » Pour Moby, la musique n’est pas un art mineur, conception du 19e siècle:  » Si une chanson de Robbie Williams à la radio vous rend incroyablement heureux, c’est du grand art. L’art n’a pas de valeur inhérente.  » Pas plus que le succès:  » Je ne me suis jamais attendu à un quelconque succès, cela n’a jamais affecté la façon dont je perçois mon travail. Ce n’est ni mal ni bien, c’est seulement là. Si mes disques étaient tous des succès à la hauteur de Play, je risquerais probablement d’accorder trop d’importance au succès. Le succès ne vous apprend rien…  » Peut-on dès lors, cher Moby, vous souhaiter un bide magnifique?

Last Night, chez EMI. www.moby.com

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