Le cinéaste britannique Stephen Daldry plonge dans l’Allemagne de l’après-guerre avec le troublant The Reader. Rencontre…

Deux films, à peine, ont fait de Stephen Daldry un cinéaste recherché. Révélé à la face du monde par le charmant Billy Elliot, le réalisateur britannique faisait mieux que confirmer avec The Hours, £uvre touffue et labyrinthique embrassant magistralement l’héritage de Virginia Woolf. Six ans plus tard, la sortie de The Reader, son troisième long métrage, fait figure d’événement. Avec son compère David Hare, Daldry y adapte un roman controversé de l’auteur germanique Bernhard Schlink, s’intéressant à la génération allemande ayant grandi après la guerre, dans l’ombre de l’horreur.

La densité du propos a pour corollaire la finesse d’exécution: on peut parler de nouvelle réussite. Redoute-t-il pourtant l’accueil que lui réservera le public berlinois? Le Stephen Daldry que l’on rencontre dans un palace situé à deux pas de la porte de Brandebourg apparaît un chouia tendu, pratiquant l’art de l’esquive avec le sourire de celui qui s’y est bien entraîné, non sans aligner les Marlboro Light avec une constance en forme de pied de nez aux interdits en vigueur. Et de s’attarder, surtout, sur la longue genèse de la production – longtemps chasse gardée d’Anthony Minghella, qui devait toutefois lui en confier les rênes bien avant sa disparition. « Anthony tenait à tourner ce film lui-même. Il avait toutefois beaucoup de fers au feu, et a fini par céder à mes arguments, tout en étant associé de fort près à la production. Lui, et Sydney Pollack – coproducteur du film, également disparu dans l’intervalle (ndlr) -, étaient de merveilleux producteurs. Ils restaient des cinéastes avant tout, et étaient donc enclins à nous laisser développer notre vision, à David et à moi, plutôt qu’à nous imposer la leur… »

Silence coupable

Son intérêt pour l’ouvrage de Bernhard Schlink, Stephen Daldry le lie, notamment, à sa connaissance intime de l’Allemagne de l’après-guerre: « J’y ai passé du temps comme étudiant, pour apprendre la langue, avant de travailler à Berlin en diverses occasions. L’expérience allemande de l’après-guerre est un sujet pratiquement illimité. Le propos du livre ne m’était donc pas totalement étranger, même si l’histoire m’en est apparue remarquablement complexe, avec une architecture narrative fascinante.  » Soulignant sa fidélité au roman, Stephen Daldry y voit, prioritairement, l’analyse du destin d’une génération « qui a grandi dans un grand silence, avant de réaliser dans quoi avaient été impliqués ses parents, ses professeurs ou ses pasteurs. Avec, pour résultat, une crise morale profonde. » Culpabilité et ambivalence des sentiments se chevauchent alors – cristallisés à l’écran dans la relation du personnage central, Michael Berg, à Hannah Schmitz, criminelle nazie et femme aimée: « La plupart des films consacrés à des individus impliqués dans l’Holocauste le font du point de vue des victimes, et je peux comprendre que l’on trouve matière à controverse dans le fait qu’un personnage central soit ici le criminel, c’est inhabituel. Mais si on analyse les actes criminels et les génocides sous le seul angle de la folie de ceux qui les ont perpétrés, notre compréhension des moyens de les enrayer s’en trouvera fortement réduite. Les génocides, que ce soit encore au Cambodge ou au Rwanda, ne sont pas le fait de seuls malades mentaux. «  Traduit à l’écran, voilà qui nous vaut un film dérangeant, peut-être, fécond, sans nul doute.

Entretien Jean-François Pluijgers, à Berlin

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