DÉJÀ CO-SCÉNARISTE DU RÉCENT MUSTANG, ELLE DÉBOULE AVEC MARYLAND, SON DEUXIÈME EFFORT EN TANT QUE RÉALISATRICE. DISCUSSION AVEC UNE CINÉASTE QUI S’OCCUPE AVANT TOUT DES CORPS ET DU DÉCOR.

Soleil sur un village turc, pluie battante sur les villas de la Côte d’ Azur, Mustang et Maryland (lire la critique page 21) sont assurément des films à l’ambiance et à l’esthétique radicalement différentes. Et pourtant, les points communs sont nombreux. Le huis clos d’abord, et la peur de sortir, qui dominent les deux oeuvres. La figure de la femme fière mais dévalorisée, emprisonnée, et surtout cette capacité à partir d’un récit naturaliste pour dévier vers le film de genre. « Moi, ce sont les corps qui m’intéressent, explique Winocour, je fais un cinéma physique, pas psychologique. Mustang est un film d’aventures -des filles essayent de se libérer de leur prison familiale, de rejoindre Istanbul. Maryland commence comme un documentaire, on suit ces gardes du corps puis on glisse vers le film d’horreur. J’aime jouer avec les codes. Dans un film de genre, on peut commencer une phrase et, au moment oùle public pense la finir, jouer avec ses attentes, les rencontrer ou pas.  »

Pour faire un film sur les corps, il fallait à la réalisatrice un acteur physique. « J’ai écrit Maryland pour Matthias Schoenaerts. Je lui ai expliqué mon idée et il était très enthousiaste. Sauf qu’après il m’a fallu deux ans pour finir le scénario, et pendant ce temps Matthias devenait de plus en plus populaire, et de plus en plus occupé! Mais il ne m’a pas oubliée, je crois qu’il était séduit par l’idée de jouer une personnalité borderline. Il s’est investi complètement dans le rôle. Il ne dormait plus que deux heures par nuit, il était devenu irascible et violent. Dans la peau de son personnage, il lui était difficile d’être dirigé par une femme. Du coup, notre relation était extrêmement tendue pendant le tournage, mais on savait que c’était dans l’intérêt du film. Aujourd’hui, quand je revois Matthias, si sain, si jeune, si enthousiaste, j’ai du mal à imaginer qu’il a été Vincent! »

En pleine tempête

Face à Schoenaerts, on retrouve une autre actrice européenne qui a su traverser les frontières: l’Allemande Diane Kruger, toute de beauté glacée. « Jessie est une femme-trophée. Elle vient du même monde que Vincent mais elle a tout laissé tomber pour une vie de luxe, dans une cage dorée. Ces deux personnages sont brisés et le film raconte les rares moments où ils peuvent se réconforter, abattre le mur entre eux.« On sent alors, dans le discours de la cinéaste, poindre une dimension sociale. « En France on ne donne pas aux soldats le respect qu’ils méritent. J’y pensais lors de la projection à Cannes. On était plongés dans le monde superficiel et luxueux qui est dénoncé au début du film. On oublie qu’il y a un autre monde. Un monde de stress et de violence qui nous protège.« Elle ramène cependant vite ce discours à un ressenti davantage subjectif que politique. « Ce film est très personnel pour moi. Il parle de mes peurs. Dans la villa, la télé est toujours allumée sur les chaînes d’info en continu. Ce flot ininterrompu m’effraie. On en sait de plus en plus, mais on se sent de plus en plus impuissant, on se croit en permanence en danger.« En se concentrant sur ces deux solitaires aux prises avec la paranoïa, puis un danger bien réel, Winocour a aussi voulu « raconter une histoire d’amour étrange, faite de petits moments. La scène où ils s’endorment tous les deux dans le canapé en regardant la télé, c’est le moment le plus précieux de leur relation. Le monde s’écroule autour d’eux mais ils peuvent créer un lien.  »

Ce sentiment d’oppression est renforcé par l’inquiétante villa qui donne son nom au film et évoque un cocon maléfique. « On a eu beaucoup de mal à trouver Maryland. Les gens riches se foutent de l’argent que peut leur rapporter un tournage chez eux, alors ils sont difficiles à convaincre!« La propriété trouvée (celle d’un homme d’affaires italien), il restait à la malmener. « La pluie, l’orage, la tempête, tout cela était dans le scénario, mais on a eu beaucoup de chance car pendant le tournage, à Antibes, la météo était dégueulasse! Bien sûr, ça a aussi créé une drôle d’ambiance sur le plateau. On se retrouvait comme les personnages, prisonniers de cette maison.  »

Dans Augustine, son premier long en tant que réalisatrice, Alice Winocour racontait, à travers les expériences du professeur Charcot, la vie des femmes dites hystériques. »Elles étaient tellement oppressées par la société du XIXe siècle qu’elles n’avaient plus d’autre échappatoire que ce dysfonctionnement du corps. » Une porte de sortie radicale également exploitée dans Mustang, à travers le suicide d’une des protagonistes, et bien sûr dans Maryland. « A sa manière, Vincent est aussi un hystérique. J’ai rencontré beaucoup de soldats qui m’ont parlé de la difficulté de revenir à la vie normale. On leur apprend à devenir des machines à tuer, mais pas à faire le chemin inverse. Ils reviennent avec la guerre en eux. Ils ont des flashs, des hallucinations terribles qui peuvent être déclenchées par des événements anodins. Quand il n’y a pas de mots pour exprimer votre souffrance psychologique, elle devient physique et c’est un terrain fertile pour mon cinéma.

RENCONTRE Matthieu Reynaert, À Cannes

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