PREMIER FILM DE JOHN SHANK, L’HIVER DERNIER RACONTE LE COMBAT OBSTINÉ D’UN HOMME REFUSANT LA FIN D’UN MONDE. UN DRAME RURAL EN FORME DE WESTERN AVEYRONNAIS TRAVERSÉ D’ENJEUX HUMAINS, SPIRITUELS, SOCIÉTAUX ET ESTHÉTIQUES.

Jeune cinéaste belge originaire du Midwest, John Shank signe, avec L’hiver dernier ( lire la critique page 31), un premier long métrage on ne peut plus singulier. Au c£ur de l’Aubrac, on y découvre Johann, un fermier ayant repris l’exploitation familiale et qui, insensiblement, va perdre pied, alors qu’il refuse de se résigner à la désagrégation de son univers. Un sujet fort, puissamment incarné par Vincent Rottiers et transcendé par la sauvagerie d’une nature éternelle, pour une £uvre s’inscrivant au carrefour d’enjeux humains, sociétaux et esthétiques; le prolongement naturel de Un veau pleurait, la nuit ou Les mains froides, les courts métrages du réalisateur, avec lesquels ce film partage plus qu’un cadre rural. « J’ai grandi avec la sensation que la terre était importante, explique ce dernier, que l’on retrouve à la Mostra, où L’hiver dernier a eu les honneurs des Venice Days. Et j’ai aussi appris que savoir d’où l’on vient est important. L’hiver dernier est né de la combinaison de deux envies: faire un film sur l’appartenance, d’une part, et où quelqu’un travaille avec la terre, et y est confronté, d’autre part. »

Un film de résistants

Cette double perspective, Shank l’a inscrite dans le cadre, sauvage et préservé à la fois, de l’Aveyron, histoire, notamment, d’instruire un fascinant rapport à l’espace, les protagonistes de son film se débattant dans un monde qui les dépasse. « Le choix a été guidé par la nature, et par les gens. On voit qu’il y a des hommes qui sont là, mais cela reste sauvage, et la vue porte très loin. Et puis, dès que je suis arrivé pour les repérages, les habitants se sont montrés curieux, et beaucoup d’entre eux m’ont dit combien leur histoire résonnait avec le film. Quand on est jeune, qu’on débute, et qu’on se pose beaucoup de questions sur la réalité de ce que l’on fait et la façon dont cela peut résonner avec le monde, c’est très encourageant d’entendre des gens vous dire: « mais ça, c’est mon histoire. » » De fait, si le conflit intime que met en scène le film est d’essence quasiment spirituelle -sentiment d’ailleurs renforcé par une veine contemplative autant que mutique-, il s’appuie aussi sur un réel âpre, celui d’un milieu rural bousculé par la marche forcée qu’impose la mondialisation. A cet égard, le combat de petits exploitants pour garder leur place dans ce monde s’assimile à celui de résistants, un terme qui revient d’ailleurs souvent dans la bouche du réalisateur. Et si ce dernier n’a pas voulu verser dans le militantisme – « Il y a des films bien plus puissants en termes de critique, ou même de constat sur le modèle économique dans lequel on vit »-, cette dimension sociétale ne manque pas d’imprégner le propos: « Les gens, comme ces éleveurs, qui essaient de se positionner dans un système qui ne leur donne pas de place, et qui tentent de continuer à exister, c’est quelque chose qui me touche », observe-t-il encore.

Dans ces conditions, on ne s’étonnera guère de l’impression crépusculaire émanant de L’hiver dernier. On touche là, par ailleurs, à une dimension quasi mythique, sentiment renforcé dès lors que Shank emmène son film du côté du western -un héritage qu’il assume bien volontiers. « Quand je suis arrivé sur le plateau pour la première fois, j’ai été pris d’une très vive émotion parce que je retrouvais des espaces que je n’avais pas vus depuis longtemps, mais que j’avais pu sentir, et vivre aux Etats-Unis. Le côté western, et l’imagerie qui l’accompagne, sont venus petit à petit, sans réelle volonté au départ. En découvrant l’Aubrac, l’envie est venue de raconter l’histoire de cet homme, au moins une fois, comme s’il s’agissait d’un cow-boy, avec ses propres lois, et ses propres systèmes. Sauf que, contrairement aux grands westerns de Ford ou Peckinpah, je trouve très difficile de raconter aujourd’hui des figures mythiques ou héroïques comme eux le faisaient… »

Voire, toutefois. Il y a dans le cheminement de Johann une force peu banale, transcendée par une proposition esthétique qui achève de faire de L’hiver dernier un voyage d’une belle intensité dans des horizons que le cinéma a tendance à quelque peu négliger. Le fruit d’une vision, bien sûr, et de la complicité qui unit le réalisateur à son chef-opérateur, Hichame Alaouie, et à sa décoratrice, Anna Falgueres: « Le fond du film, et de ce qu’on peut en ressentir, passe tout autant par le travail visuel qu’on a fait ensemble que par le sujet. J’ai envie de faire du cinéma pour travailler ce langage-là, et pour que ce soit ce langage-là qui parle. Et partager avec le spectateur des sensations proprement cinématographiques avant même de lui donner une histoire. Pour moi, le rôle d’un cinéaste est d’emmener les gens vers le cinéma pour qu’après, l’histoire rejette dans le réel, et nous fasse regarder le monde autrement. Mais il s’agit d’emmener à vivre une expérience cinématographique, et pas juste à la foire du Midi. Même si la foire du Midi, c’est bien… »

RENCONTRE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS, À VENISE

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